Il y a quatre ans ils ont voulu t’assassiner, Hernán Bedoya

Le 8 décembre 2017, Hernán Bedoya est assassiné de 14 coups de feu, lorsqu’il rentrait chez lui dans la Zone humanitaire Ma Terre, région du Bajo Atrato, Chocó (nord de la Colombie). Les responsables de cet assassinat pensaient faire taire une voix claire et forte[i] qui dénonçait l’expansion et les effets négatifs des agrobusiness de la palme à huile et de la banane qui s’étendent sur le territoire des communautés de Pedeguita et Mancilla. Hernán dénonçait comment l’expansion de ces plantations l’avait forcé à se déplacer de son territoire, où il avait finalement réussi à retourner malgré la présence de groupes paramilitaires. C’est ainsi que nous l’avons connu, quand il luttait pour ses terres et pour une vie digne, avec à ses côtés la Commission de Justice et Paix que PBI Colombie accompagne dans la région du Bajo Atrato.

 


[Caption] Hernan Bedoya, leader social reconnu qui réclamait la restitution des terres. Il avait dénoncé des associations illégales, des contrats frauduleux, et la présence de groupes paramilitaires dans la région.

 

Il n’a pas voulu se taire quand le représentant du Conseil Communautaire et l’entreprise Agromar ont signé un bail de cent ans pour la plantation de bananiers sur 20.000 hectares du territoire de Pedeguita y Mancilla[ii]. Ce contrat prévoyait que 12 associés se répartiraient les bénéfices[iii]. A cause de son opposition à ce projet agroindustriel[iv] et parce qu’il réclamait la restitution des terres accaparées illégalement, Hernán a été menacé de mort par un groupe paramilitaire, les Autodefensas Gaitanistas de Colombia, pendant plus de deux ans. C’était lui la figure visible qui dénonçait les menaces contre son territoire. Avec l’organisation Justice et Paix à ses côtés et comme membre de l’association de Communautés qui construisent la Paix dans les Territoires – CONPAZ, il participait à des conférences et des documentaires pour rendre visible la situation.

 

                           [Caption] Hernan Bedoya s’opposait à un projet agroindustriel dans le territoire collectif de Pedeguita y Mancilla. Photo: Silvia Arjona

 

C’est parce que c’était un paysan qui luttait qu’on a voulu l’éliminer. Et parce qu’il était menacé de mort, l’État colombien lui a donné un gilet pare-balles et un téléphone portable. Une alerte a été émise aussi pour demander que cessent les assassinats de leaders sociaux et environnementaux dans la région du Bajo Atrato. Le Procureur de la République de l’époque[v] avait initié des actions légales visant à la nullité du bail avec Agromar, parce que cet accord violait les droits à la terre de la communauté ethnique de Pedeguita et Mancilla. Mais les dommages environnementaux et les harcèlements contre ceux et celles qui s’opposaient à cet agrobusiness n’ont pas diminué. Selon l’organisation Justice et Paix, “depuis plus de cinq ans, une entreprise mène une opération illégale dans ce territoire, qui assèche les sources d’eau du marais Bajo de Los Patos et des zones humides des villages El Diez et Nueva Unión, qui déboise des forêts primaires et qui fait fuir et cause la mort de nombreuses espèces animales de ce territoire de Pedeguita et Mancilla, municipalité de Riosucio dans le Chocó”[vi].

 

                                                                                   [Caption] Le jour du meurtre de Hernán: Photo de Bianca Bauer 

 

Selon l’organisation Justice et Paix, qui accompagne ces communautés depuis plus de trente ans, une Unité Spéciale d’Investigation du Parquet (Unidad Especial de Investigación de la Fiscalia), créée il y a quatre ans pour démanteler les structures paramilitaires, s’était engagée à réaliser une investigation rapide et efficace. Aujourd’hui, cette unité n’a présenté aucun résultat et la justice ordinaire n’a pas avancé non plus. L’implication d’un secteur d’entrepreneurs dans l’assassinat de Hernán Bedoya pourrait expliquer l’impunité qui  prédomine[vii] dans ces territoires du Bajo Atrato[viii], comme c’est le cas aussi pour l’assassinat de Mario Castaño Bravo, membre de l’association CONPAZ et assassiné 10 jours avant  Hernán Bedoya. Au niveau national, l’Indice Global d’Impunité situe la Colombie au huitième rang mondial. Cette impunité protège les auteurs matériels et intellectuels et empêche l’élucidation des attaques que souffrent les communautés et les defenseur·euses de la terre et de l’environnement[ix].

Aujourd’hui, les menaces de mort contre les defenseur·euses de la terre et de l’environnement persistent[x]. Récemment, en septembre 2021, deux leaders indigènes ont été assassinés: Efrén Antonio Carupia[xi], à Acandí, et Dilio Bailarín[xii], dans l’Alto Guayabal, alors même que ces communautés bénéficiaient de mesures de protection octroyées par un Juge de Restitution des Terres et de mesures de prévention accordées par la Juridiction Spéciale pour la Paix (Jurisdicción Especial para la Paz (JEP). Plusieurs communautés indigènes ont été forcées à se déplacer pour protéger leur vie à la suite de ces assassinats, des multiples menaces de groupes armés et l’absence de garanties de sécurité de la part de l’État. Ces communautés avaient demandé à l’État colombien, en mars 2020, l’adoption d’un Accord Humanitaire Global pour une cessation des hostilités et un dialogue entre les acteurs armés présents sur le territoire, et pour la construction d’une paix juste et durable[xiii]. Jusqu’à présent, le gouvernement colombien n’a pas répondu favorablement à cette demande[xiv]

Il est urgent de protéger les communautés et les organisations qui prennent soin du territoire et défendent les droits humains en Colombie. Ces defenseur·euses risquent leur vie en dénonçant les intérêts économiques de secteurs entrepreneuriaux sur des terres en processus de restitution aux  victimes, la collusion de ces entreprises avec des structures armées illégales et la persistance des routes de narcotrafic dans la zone.

 

 

Il est préoccupant de constater que les meurtres des défenseur·euses des droits humains sont encore systématiques en Colombie – 161 personnes en 2021 selon Indepaz[xv]. Ces attaques ont pour finalité de faire taire leur voix et d’éteindre l’espérance. Mais dans la communauté de Pedeguita y Mancilla, l’espoir se maintient. Le jour de la commémoration de la mort de Hernán Bedoya, la communauté de Pedeguita y Mancilla s’est rassemblée “à nouveau pour honorer ce que tu nous as légué, ta lutte et tes rêves perdurent en nous. Nous continuerons à honorer la vie des leaders et à répéter que ton combat n’a pas été en vain, que la mémoire maintient la communauté pleine de vie et de sagesse, et que la défense du territoire fait partie de nos engagements avec présent et le futur”. Aujourd’hui son combat nous appelle à dépasser le sentiment d’impuissance pour réclamer « plus jamais ça ».

 

Gemma Neus, PBI Colombia.

 

 

Article de PBI Colombie traduit par Catherine Bouley.

 

[iv]Comisión de Justicia y Paz: Asesinado líder Hernán Bedoya, 8 décembre 2017.

[viii]Índice Global de Impunidad: Escalas de impunidad en el mundo, 2020.

[xi]Comisión de Justicia y Paz (@Justiciaypazcol): Tweet, 17 septembre 2021.

[xiv]Somos Génesis: CartAbierta 36 – A 5 años de otro Acuerdo de Paz, 23 de noviembre de 2021.

[xv]   Indepaz (@Indepaz): Tweet, 5 décembre 2021.