8 février 2021

                                                                                   Illustration de Miguel Méndez

 

« Nous, dans les communautés de Colón, ne voulons pas faire partie des caravanes de migrants ». La Coordination des organisations populaires du Bajo Aguán (COPA) explique que plusieurs membres de la communauté de Guapinol ont déjà été expulsés de leurs maisons suite au conflit qui l’oppose à l'entreprise minière Pinares Investments. Certains d'entre eux sont partis suite à des menaces de mort, d'autres sont partis par crainte de l'avenir. Cet avenir, les habitants l’envisagent avec appréhension, car un projet extractif devrait y affecter plus de 34 sources d'eau et a déjà entraîné la criminalisation de 32 dirigeants communautaires protégeant leurs rivières, dont huit sont en détention provisoire depuis plus d'un an et demi.

La criminalisation et les menaces constantes ont ainsi contraint la défenseure des droits humains Irma Andrea Lemus Amaya à quitter son pays. En mars 2019, elle a décidé de prendre un bus pour se rendre à la frontière guatémaltèque, avec pour destination finale les États-Unis. Irma avait fait l’objet de menaces depuis plusieurs années pour son travail de reporter communautaire et son opposition à de nombreux projets miniers dans le département de Colón. Lorsque ses agresseurs ont tenté de la kidnapper, Irma a pris la décision de quitter le Honduras.

Le rapport Territoires à risque II : Extractivisme, hydrocarbures et production électrique au Honduras (Territorios en riesgo II: Minería, Hidrocarburos y generación de energía eléctrica en Honduras, 2019) montre comment les projets extractifs à grande échelle entraînent souvent le déplacement des populations locales qui, en plus de perdre leur maison, perdent également leurs moyens de subsistance : « Des communautés entières peuvent être déracinées et forcées de se déplacer ». Cette dépossession est vécue de façon particulièrement difficile par les communautés autochtones : « Elles ont des liens culturels et spirituels forts avec les terres de leurs ancêtres et peuvent avoir du mal à survivre lorsque ces liens sont rompus ».

Dans la communauté garifuna de Barra Vieja (département d'Atlántida), en 2014, la police nationale et l'armée ont tenté d'expulser les habitants pour faire avancer la construction du projet touristique Indura Resort. Plus de 450 habitants, dont 200 mineurs, ont été impactés par le déplacement de la communauté, habitée par les Garifuna depuis 200 ans. « De nombreuses familles ont été contraintes de quitter la communauté. Certaines ont migré vers les États-Unis, d'autres sont allées dans différentes villes du Honduras », explique José Armando, membre du conseil communautaire. Il ajoute que « celles et ceux d'entre nous qui sont restés à Barra Vieja ont déclaré qu'ils préféraient mourir plutôt qu'abandonner leur maison ».

 

 

Derrière le déplacement, le modèle néolibéral

Le chercheur Kenny Castillo estime que l'un des principaux moteurs de la migration est la mise en œuvre du programme d'ajustement structurel économique de 1990, qui a marqué l'arrivée du modèle économique néolibéral au Honduras sous l'administration de Rafael Leonardo Callejas. Ce programme a intensifié à la fois le développement de l'industrie touristique le long de la côte caraïbe du Honduras et les conflits sociaux dans les communautés garifunas.

La migration n'est certes pas un phénomène nouveau dans la région ; de fait, les flux migratoires les plus forts ont été étroitement liés aux changements des modèles de production économique. Toutefois, comme le note le rapport Cycles migratoires au Honduras (Ciclos migratorios en Honduras, collectif, 2020), la première décennie du XXIe siècle a marqué le début des cycles migratoires basés sur l'extractivisme néolibéral. « Les migrants ne partent plus seulement pour des raisons économiques, mais aussi en raison de la violence et de l'insécurité ». Le rapport ajoute que « c'est le cycle le plus court, mais aussi le plus intense en termes de nombre de personnes quittant le pays. Ce cycle est cohérent avec les preuves de l'impact de l'extractivisme dans le pays ».

En ce qui concerne les personnes déplacées à l'intérieur du pays, une loi relative à la prévention, l'attention et la protection des personnes déplacées à l'intérieur du pays a été présentée au Congrès national du Honduras en octobre 2020. La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) et le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays ont également exhorté le Honduras à mettre en œuvre des mesures visant à garantir la protection complète des droits humains des personnes déplacées.

En termes de migration externe, en 1980, on comptait environ 39 000 immigrants honduriens aux États-Unis d'Amérique. En 2019, ce chiffre est passé à 1,2 million, selon les estimations de la FOSDEH. En d'autres termes, en près de 40 ans, le nombre de migrants qui ont décidé de franchir les plus de 2 500 kilomètres qui séparent le Honduras du « rêve américain » a augmenté de 3 000 %. De même, cette augmentation de la migration a mené à ce que les transferts de fonds atteignent plus de 20% du PIB du pays, soit 5,5 milliards de dollars, en 2019. Paradoxalement, les migrants expulsés du Honduras en raison de son modèle économique sont précisément ceux qui soutiennent l'économie du pays.

 

Article original écrit par PBI Honduras, traduit par Florence.