De la haine au combat pour les droits humains

Par Agnès Morilhat

 

Bienvenue à Kibera, Nairobi, Kenya. Le plus grand bidonville de la capitale, mais aussi du pays et de l'Afrique de l'Est. Kate Wangui, trentenaire, y est défenseure des droits des femmes et des enfants depuis bientôt 10 ans. Elle a grandi toute sa vie ici, entre violences de genre, tensions ethniques et histoire familiale compliquée. Son engagement militant vient de là, justement : quand histoire personnelle et Histoire avec un grand « H » s'entremêlent et s'entrechoquent.

Son père, alcoolique, bat régulièrement sa mère. A 17 ans, Kate est mariée de force avec un homme de 18 ans de plus qu'elle. Elle tombe rapidement enceinte ; il falsifie ses papiers pour qu'elle n'apparaisse pas comme mineure. Elle s'enfuit avec sa fille, Grace. La colère, notamment contre les hommes, s'accumule.

En 2007, le Kenya est fortement secoué par des violences post-électorales extrêmes, principalement entre   les tribus Kikuyus et Luos. Plus de 1500 morts, des centaines de milliers de personnes déplacées internes. La maison de Kate est détruite car elle est Kikuyu. Le ressentiment et l'amertume culminent lorsque sa cousine et sa mère sont violées, en 2011. Kate est rongée de l'intérieur par la douleur et la haine.

En 2012, une amie l'emmène à un cercle de paroles de l'association Kibera Women for Peace and Fairness (Femmes de Kibera pour la Paix et l'Equité). Les femmes parlent de leurs traumatismes, de leurs expériences. De leur douleur. Il y est question de partage, de paix, de pardon. Kate décide de prendre la parole. Et de ne plus la lâcher. Il s'agit de l'un de ses plus grands combats : la lutte pour le droit de s'exprimer et de manifester. 

Le cœur de son action est la formation des femmes et des enfants, afin de leur faire connaître leurs droits, et le combat pour la justice envers les victimes de viols et de violence. Kate anime des groupes de parole, des ateliers de sensibilisation aux violences de genre, intervient dans les écoles. Elle mène des actions en justice à l'encontre d'auteurs de violences de genre. Elle est devenue une leader dans sa communauté.

 

Kibera Women for Peace and Fairness

Cette association est menée par et pour les femmes des communautés du bidonville de Kibera. Elle a pour but de les sensibiliser à leurs droits, poursuit des activités de plaidoyer et lutte contre la violence. Son slogan est G-PENDE, qui signifie "Aime toi" en kiswahili.

L'association travaille avec des adolescentes dans plus de quinze écoles à Kibera, et avec les femmes sur l'autonomisation économique, via des sytèmes de prêts et d'épargne collectifs. Elle développe différentes actions: activités sportives favorisant l'échange, organisations d'ateliers, d'espaces de paroles sûrs, où les adolescentes et les femmes peuvent se retrouver et évoquer leurs problèmes personnels. Les membres de l'association organisent des distributions de savons, de produits menstruels. Elles ont également dressé une carte du harcèlement de Kibera. L'association a participé au projet Kenya Tuna Uwezo ("Nous avons le pouvoir" en kiswahili), un programme visant à réduire les conflits violents à Nairobi, et incluant notamment une formation à la paix et à la gestion des conflits, à laquelle Kate a participé en 2012.

 

Les réussites et les défis

La capacité de mobilisation de Kate a permis la poursuite en justice de plusieurs auteurs de violence. Une petite fille de 5 ans avait été violée mais le traitement de son dossier accusait de nombreux retards. Kate a mobilisé un groupe de 200 femmes, qui se sont rendues au commissariat puis à l'hôpital, en demandant à ce que les preuves soient présentées au tribunal. Ce qui a conduit à la condamnation de l'homme à 10 ans de prison. Une autre situation est celle d'un professeur ayant violé un garçon. Kate a mobilisé des personnes et elles sont allées arrêter l'auteur des faits et l'ont amené au commissariat. Il a ensuite comparu devant le tribunal et a été condamné.

Les combats de Kate se centrent aujourd'hui autour du droit à l'information et à l'accès de la santé maternelle et reproductive, en plus de son travail sur le droit de manifester pacifiquement. Elle réalise un travail au plus près de sa communauté. L'un de ses principaux messages est de ne pas stigmatiser un genre ou une ethnie au vu des agissements d'une personne, comme elle a pu elle-même le penser avant de surmonter sa colère. Pour elle, les femmes peuvent autant transmettre la haine ou la paix, et il faut en ce sens les mobiliser pour rompre les cycles de violence.

Kate fait l'objet de menaces de la part de membres de la communauté, à l'instar des familles des auteurs de violences. Il arrive que ces derniers achètent leur victime. L'Etat kényan peut aussi se sentir ciblé et proférer des menaces, comme dans le cas du professeur, qui travaillait dans une école publique. La police kényane, connue mondialement pour sa brutalité, intimide les défenseur.es. Des collègues de Kate ont été assassiné.es pour leur action.

 

Le rôle de PBI

PBI Kenya a lancé en 2016 une boîte à outils pour les défenseures des droits humains, aujourd'hui organisées en réseau, Women Human Rights Defenders Toolkit Organizers. Il s'agit d'un instrument en ligne permettant aux défenseures de Nairobi de développer leur sécurité et leur efficacité dans leur action. L’objectif est de leur fournir des connaissances, des informations et des outils pertinents pour améliorer leur compréhension de la sécurité et de la protection. Aujourd'hui ces femmes sont organisées en réseau. Elles se réunissent afin de travailler sur des stratégies collectives pour réclamer leurs droits, assurer leur sécurité, développer des réseaux de soutien et plaider pour une prise en charge des multiples risques auxquels elles font face. Elles interviennent dans leurs communautés afin de sensibiliser aux violences de genre. Kate en est une membre active et s'inscrit ainsi dans l'accompagnement de PBI.

 

 

Sources

“I cannot be silent anymore”, Kate Wangui – Toolkit for WHRD http://www.toolkit-whrd-kenya.org/kate/

Kibera Women for Peace and Fairness – Action 4 sustainable development https://action4sd.org/organizations/kibera-women-for-peace-and-fairness/

De Kibera à Paris, témoignage d’une lutte pour les droits des femmes – PBI France – Juillet 2019 https://pbi-france.org/nouvelles/2019-07/de-kibera-%C3%A0-paris-t%C3%A9moignage-d%E2%80%99une-lutte-pour-les-droits-des-femmes

Kate Wangui, libérer la voix des Kényanes – La Croix – 2 juillet 2019 https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Kate-Wangui-liberer-voix-Kenyanes-2019-07-02-1201032766

Kenya : Kate Wangui lutte pour les Droits des femmes à Kibera – RFI – 13 juillet 2019 https://savoirs.rfi.fr/fr/comprendre-enrichir/societe/kenya-kate-wangui-lutte-pour-les-droits-des-femmes-a-kibera

Portrait - Kate Wangui – PBI France – Mai 2020 https://pbi-france.org/nouvelles/2020-05/portrait-kate-wangui

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