Personne n’est au-dessus des lois

Le 4 août 2020 a été ordonnée par la Cour Suprême colombienne la détention de l’ancien président Álvaro Uribe Vélez. Cette décision inédite relève d’une enquête menée par l’avocat de droits humains Reinaldo Villalba. L’ex-président (2002-2010), figure de la campagne militaire menée contre les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), est aujourd’hui accusé de manipulation de témoins et fraudes relatives à des crimes commis pendant les cinq décennies de guerre civile colombienne.

Tout a commencé en 2012, lorsque l'ancien président a accusé le sénateur Iván Cepeda de l'associer à des groupes paramilitaires. L'enquête de Cepeda a été jugée légitime en 2018, le tribunal déclarant les alliés d'Uribe coupables de faux témoignages. Villalba a fait état de rétractations forcées et de déclarations contre l'ancien président et son frère. Poursuivi pour avoir participé à la création d'un bloc paramilitaire dans la région d’Antioquia, Santiago Uribe est impliqué dans l’affaire des « 12 apôtres » (12 apóstoles), qualifié par la Cour Suprême de crime contre l’humanité. Ces allégations ont conduit à de nouvelles pressions sur témoins. Cible de ce genre d'intimidations, Daniel Prado Albarracín est un autre avocat travaillant au nom des victimes dans cette affaire, que PBI soutient également. L'année dernière, l'organisation internationale The Alliance for Lawyers at Risk a écrit une lettre au président de la Colombie pour exprimer son inquiétude quant à la prolifération de fausses déclarations publiques qui pourraient compromettre le procès et mettre en danger la sécurité de M. Albarracín. 

 

Après que le sénateur Iván Cepeda ait présenté au bureau du procureur général des déclarations incriminantes de deux paramilitaires, Uribe et ses partisans ont discrédité le tribunal et dénoncé des poursuites « injustes ». En outre, dans le cadre de cette affaire, PBI Colombie assure un accompagnement protecteur à M. Franklin Castañeda, président du Comité de solidarité avec les prisonniers politiques (CSPP). Le CSPP fournit des conseils juridiques et humanitaires et représente les personnes qui ont été privées de liberté pour des motifs politiques. Le CSPP a aidé la famille des témoins impliqué.e.s dans cette affaire en mettant en place des mesures de sécurité. Franklin Castañeda a été accusé par l’ex président et actuel sénateur Álvaro Uribe Vélez d'avoir soudoyé des témoins qui avaient fait des dépositions devant la Cour suprême de justice. En février 2018, la Cour suprême a jugé que le CSPP n’était pas en tort et le 24 octobre 2018, le Comité a intenté un procès pour diffamation et harcèlement contre Álvaro Uribe Vélez et d'autres personnes.

 

Les risques encourus par les avocat.e.s en Colombie

Villalba conduit le contentieux pénal et national du Collectif d'avocats José Alvear Restrepo (CCAJAR), en particulier la défense et la représentation des victimes de graves violations des droits humains. Le CCAJAR est une ONG de droits humains colombienne, qui lutte contre l’impunité et pour la construction d’une société juste et équitable. Reconnue au niveau national et international pour représenter des cas emblématiques de violations des droits humains en Colombie, la nature très médiatisée des affaires qu'elle traite a exposé l'organisation à des attaques, des menaces et des violentes intimidations depuis sa création. Selon les informations publiées le 1er mai par le magazine colombien Semana, les avocats du CCAJAR font partie des 130 personnes faisant l'objet d'un "profilage et d'une surveillance" de la part de certains groupes de l'armée nationale colombienne. Ces techniques d’intimidation à l’encontre de l’organisation ont par ailleurs été utilisées tout au long de la présidence d’Uribe.

Qualifié de « défenseur du terrorisme » et d’ « auxiliaire des forces de la guérilla » depuis qu’il représente le sénateur Cepeda, Reinaldo Villalba alerte sur le fait que « le traitement d'un tel cas représente un énorme risque. » Plusieurs témoins ont été assassinés en toute impunité pour leur travail dans le cadre du procès de Santiago Uribe, le frère de l'ancien président. « Les avocats occidentaux.ales (?) ont la chance de pouvoir quitter le tribunal et rentrer chez eux en toute tranquillité. Ceux qui se trouvent en Colombie n'ont pas cette chance, et certains pourraient ne pas revenir. »

Villalba signale également que « le sénateur Iván Cepeda Castro a vu des inconnus rôder près de son appartement et des personnes qui travaillent avec lui ont été attaquées sur les réseaux sociaux par des membres du parti politique d'Álvaro Uribe Vélez. » 

 

Que peut faire la communauté internationale?

Dans un article précédent présentant Reinaldo Villalba, PBI France a abordé les obstacles et dangers qu'encourent les avocat.e.s, activistes et fonctionnaires public/que.s engagé.e.s. Lors de son interview donnée à PBI UK, Villalba a sollicité le soutien de la communauté internationale. Il soupçonne que, « suite au processus de paix, une partie de la communauté internationale pense que la présence internationale en Colombie n'est plus nécessaire ou que la Colombie n'a pas besoin d'une observation internationale - qui est si précieuse dans ce pays. » 

« Nous nous sommes donc soudainement sentis un peu abandonnés », a-t-il déclaré. « Je voudrais dire à la communauté internationale qu'en Colombie, les défenseur.e.s des droits humains continuent d'être tué.e.s, que les leaders sociaux continuent d’être tué.e.s, que ces deux dernières années, plus de 300 leaders sociaux ont été assassiné.e.s - des gens qui travaillent sans relâche dans leur région pour la protection et la garantie de leurs droits, pour la défense de leur terre. Les autorités colombiennes n'ont pas su comment réagir pour éviter ces crimes et y mettre fin. Chaque année, le nombre de défenseur.e.s des droits humains et de leaders sociaux assassiné.e.s augmente ».

Villalba met en relation l'histoire tragique du pays, qui a souffert d'une guerre civile de 54 ans, et les meurtres des défenseur.e.s des droits humains qui perdurent aujourd’hui. 

« Nous ne voulons pas que le passé se répète, alors qu'un parti politique, l'Union patriotique, a été pratiquement anéanti. Plus de 5000 de ses membres et sympathisants ont été tué.e.s. Chaque jour, des leaders sociaux sont tué.e.s ici. Bien que la situation était déjà très grave, depuis qu'Iván Duque est devenu président, les assassinats de leaders sociaux ont augmenté. C'est pourquoi l'accompagnement international est encore très important aujourd'hui. Nous devons continuer à empêcher que les leaders sociaux ne finissent dans les cimetières ».

 

Notre travail sur le terrain

 

Peace Brigades International se tient solidaire des défenseur.e.s des droits humains menacé.e.s dans le monde entier. Elles visent à renforcer leur sécurité physique et politique, et à améliorer leur bien-être. Le CCAJAR est soutenu par PBI depuis 1995, afin d'assurer la sécurité et la sûreté physique de ses avocats. Pour ce faire, des observateur.rice.s internationaux.les sont présent.e.s sur le terrain et sont soutenu.e.s par un réseau d'urgence sophistiqué composé de diplomates, de politicien.ne.s, d'universitaires, de membres de la profession juridique et de gouvernements. Cette stratégie garantit que les avocats du CCAJAR soient en mesure de mener à bien leur travail de manière indépendante, sans crainte d'intimidation, conformément aux Principes de base relatifs au rôle du Barreau édictés par les Nations unies. Ces derniers stipulent en effet que « les pouvoirs publics veillent à ce que les avocat.e.s puissent s'acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue. »

 

Parlant du partenariat de PBI avec le Collectif en 2011, M. Villalba a déclaré que "la véritable dimension et l'importance de cet accompagnement ne peuvent être pleinement appréciées". Sa stratégie de protection intégrée combine l'observation internationale avec le plaidoyer stratégique et la formation aux capacités juridiques. « Cela nous donne non seulement la chance d'aller dans des régions où nous ne pourrions guère nous rendre sans ce soutien, mais cela nous donne aussi la confiance nécessaire pour poursuivre notre travail. Et cela rassure également nos familles, qui se sentent plus en sécurité lorsque nous sommes accompagné.e.s ». PBI continue d'accompagner Villalba, le CCAJAR et d'innombrables défenseur.e.s des droits humains qui luttent pour l'État de droit partout dans le monde. Ils représentent un élément fondamental pour la justice et la reddition de comptes. La tendance actuelle montre une augmentation des meurtres, d’actes de harcèlement, de menaces et de stigmatisation politique des défenseur.e.s des droits humains. Il est urgent d'inverser cette tendance. Un changement dans le discours public et une reconnaissance de leur valeur au sein de la société sont nécessaires.

Article publié par PBI-UK