Par Léa Courreges

 

Parcours militant

Née au cœur de l’Amazonie colombienne, Jani Silva a consacré sa vie à la défense des arbres et de la terre, qui sont des éléments vitaux à chacun·e d’entre nous. Dès l’âge de 16 ans, elle soutient les paysan·ne·s (campesinos/campesinas) du Putumayo, une région du sud du pays riche d’une biodiversité unique. C'est sa mère, membre du comité d'action de son village – Junta de Acción Comunal – qui lui transmet sa passion pour les causes sociales et la défense de la communauté. A sa suite, Jani Silva s'investit dans la vie communale et ne tarde pas à être sollicitée pour accompagner les paysan.ne.s dans leurs démarches administratives et représenter la communauté. « Ca m'a rendue plus solidaire avec les membres de la communauté, car les besoins face au difficile accès à l'éducation et à la santé sont immenses ». A 26 ans, elle devient inspectrice rurale. Elle s'arme de patience et parcourt les villages pour mettre à jour les registres d'état civil, et ainsi faciliter l'accès des personnes à la santé, à l'éducation, et de manière générale, la défense de leurs droits.

Jani Silva a cofondé en 2008 l’Association pour le développement intégral et durable de la Perla Amazónica (ADISPA), avec laquelle elle protège l’environnement et les droits des personnes qui vivent dans la Perla Amazónica, une réserve paysanne du Putumayo.

Dans le cadre de son travail, elle s’est opposée à la compagnie pétrolière Ecopetrol, qui a obtenu en 2006 une licence pour exploiter des zones empiétant sur la réserve. En 2009, cette licence a été cédée à la compagnie pétrolière britannique Amerisur. Depuis lors, au moins deux déversements d’hydrocarbures ont empoisonné les sources d’eau dont dépend la population locale.

L'association dans laquelle Jani Silva milite

La réserve paysanne – zona de reserva campesina Perla Amazónica est née au début des années 2000 de la volonté des paysan·ne·s du Putumayo de défendre leurs terres au milieu de la violence générée par les groupes armés illégaux. Ce fut un processus long, de consultations et d'assemblées, pour présenter un plan de développement rural et de protection de l'environnement. Grâce à l'appui technique de la municipalité de Puerto Asis, la réserve paysanne a finalement vu le jour, regroupant 23 communautés désireuses de protéger leurs terres des pressions extérieures (multinationales, groupes armés illégaux, grands propriétaires terriens) et de conserver les ressources naturelles de la zone.

Jani Silva est membre de la réserve paysanne Perla Amazónica et présidente de l'ADISPA, l'association qui coordonne la réserve et réalise un important travail de pédagogie auprès de ses habitant·e·s. Car si les décisions sont prises en assemblée, les parcelles de terre sont privées, il est donc important que tout·e·s les membres de la réserve se sentent engagé·e·s dans la protection des ressources naturelles.

Réussites passées

La création de la réserve paysanne a permis de consolider les liens entre les habitant·e·s de la zone pour faire face, ensemble, aux menaces qui pèsent tant sur le territoire que sur les personnes. Ce fut la réponse non-violente de près de 800 familles au conflit armé qui faisait rage en Colombie à la fin des années 1990, opposant l’État colombien à la guérilla des FARC-EP – Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia – Ejército Popular – ainsi que d'autres groupes armés également liés au narcotrafic. L'action pédagogique de l'ADISPA a également permis de protéger une partie du territoire car dans la charte des réserves paysannes, un pourcentage des terres doit être destiné à la conservation. Cependant, l'action des habitant·e·s de la région en faveur de l'environnement peine à faire le poids face aux pressions des multinationales qui cherchent à exploiter le sous-sol riche du Putumayo.

Combats actuels

En 2009, l'entreprise britannique AMERISUR obtient une licence environnementale de plus de 4000 hectares pour l'exploitation d'un gisement d'hydrocarbures qui empiète sur le territoire de la Perla Amazónica. Avec ADISPA, Jani Silva dénonce les conséquences de l'extraction pétrolière sur le territoire et sur la santé des personnes. Depuis 2009, les communautés ont déjà subi deux écoulements de pétrole dans la rivière, seule source d'eau dans cette région isolée sans accès à l'eau potable.

En 2016, Jani Silva célèbre la signature des accords de paix de La Havane entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC-EP, et s'engage dans la promotion du PNIS, le programme national de substitution des cultures de coca. Infatigable, elle accompagne les paysan.ne.s de la Perla Amazónica dans la transition de la culture de la coca vers des cultures légales.

Suite à la démobilisation des FARC-EP en 2016, la région est disputée par d'autres groupes armés, héritiers des guérillas et des groupes paramilitaires, qui se disputent le territoire pour contrôler les cultures de coca, les couloirs stratégiques (le Putumayo est frontalier avec l'Equateur) et le contrôle social. Jani Silva accompagne également les jeunes de la réserve paysanne, cibles privilégiées du recrutement forcé opéré par les groupes armés illégaux, pour les protéger et les accompagner.

 

Menaces en cours

Son combat pour la protection du territoire et des communautés lui a valu de nombreuses menaces. Les groupes armés illégaux qui agissent dans la région voient en la personne de Jani Silva un obstacle à leurs activités (notamment le trafic de coca). De plus, le retard pris par l’État dans la mise en œuvre du programme de substitution a généré beaucoup de problèmes au sein de la réserve paysanne et de nouvelles menaces pour Jani Silva.

En 2017, Jani Silva se voit obligée de quitter sa ferme pour se réfugier à Puerto Asis, la ville la plus proche. Un déplacement forcé que n'a pas reconnu la police colombienne. Pourtant, la Cour interaméricaine des droits humains (CIDH) a reconnu les risques encourus par la militante des droits humains, et accordé des mesures de protection qui enjoignent à l’État colombien d'agir pour la sécurité de Jani Silva. Peu de mesures ont été prises, et depuis le mois de mars 2020, plusieurs organisations colombiennes ont dénoncé de nouvelles intimidations ainsi qu'un plan d'assassinat à l'encontre de Jani Silva. En mai, elle apparaît dans la liste des personnes victimes d'écoutes illégales de la part d'agents de l'armée colombienne.

 

Appui de PBI

La pandémie de COVID-19 a aggravé la situation, car le confinement des militant·e·s a limité leur protection. Malgré cela, Jani Silva n'a pas cessé de dénoncer les violations des droits des paysan.ne.s et la destruction de l'environnement. Elle est conseillée dans son combat par la Commission de Justice et Paix (J&P), une ONG colombienne de défense des droits humains accompagnée par PBI Colombie. Depuis 2018, PBI Colombie accompagne J&P dans la réserve paysanne Perla Amazónica et réalise des actions de plaidoyer auprès de son réseau pour visibiliser le combat de Jani Silva et de l'ADISPA.

 

Pétition Amnesty International https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/petitions/jani-silva

 

 

SOURCES