Depuis le 18 octobre 2012, le gouvernement de Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) sont officiellement à la table des négociations pour tenter d’arriver à un accord qui marquerait la fin d’un conflit armé qui aura duré plus de 50 ans et qui, selon le dernier rapport du Centro Nacional de Memoria Histórica (CNMH) récemment remis au Président Santos, aura provoqué entre 1958 et 2012, plus de  220.000 assassinats, dont 80% parmi les civils.

Après une première phase d’approche et de contacts menés dans le plus grand secret au cours de l’année 2012, les négociations se font aujourd’hui de manière ouverte. Les deux parties comptent s’accorder sur 5 points clefs avant l’approbation finale et la mise en place des termes de ces accords :

- Le développement des zones rurales (“desarrollo agrario integral”) ;

- La participation politique, c’est-à-dire l’autorisation pour les membres des FARC de réintégrer la vie politique du pays ;

- La fin du conflit et le dépôt des armes ;

- La solution au problème de la production de drogue ;

- L’identification et la réparation due aux victimes du conflit.

Des accords ont été trouvés sur les points n°2 (en novembre 2013) puis n°1 (en mai 2014).

Les trois derniers points restent en cours de négociations, et c’est notamment sur le dernier point que des controverses ont vu le jour dans le pays.

En effet, il a été décidé au début du mois de juin par les deux parties qu’un groupe de personnes victimes du conflit allait participer aux négociations. Si cette initiative a été applaudie par le Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme, par la voix de son porte-parole Rupert Colville, la décision ne fait pas l’unanimité.

Premièrement, il semble impossible de représenter toutes les victimes de chacun des groupes ethniques de Colombie, tout comme il est impossible de répertorier tous les faits ayant causé un dommage à certaines personnes. Bien qu’il ait effectivement reconnu que ceci représentait une «expérience unique, qui n’a jamais été tentée auparavant », le représentant de l’ONU en Colombie, Fabrizio Hochschild, a cependant concédé qu’il serait « impossible de représenter les 6,5 millions de personnes victimes du conflit ». La controverse porte également sur le fait que des militaires et des policiers fassent partie des groupes de victimes qui feront le voyage jusqu’à La Havane. Ceux-ci pourront effectivement bénéficier de la « Ley de Víctimas » qui garantit réparation à toutes les victimes du conflit.

De plus, les FARC eux-mêmes ont demandés à être reconnus comme victimes du conflit. Ce point doit être discuté lors des prochaines négociations.

Enfin, malgré le fait que ce point doive, selon les parties elles-mêmes, répondre aux principes de vérité, justice, réparation, garantie de non répétition des faits, et de respect des droits humains, Amnesty International dénonce le fait qu’il n’y ait aucun engagement quant à la traduction en justice des responsables de potentiels crimes contre l’Humanité au terme des négociations.

Au-delà de ces controverses, le fait que les victimes participent aux négociations est une manière forte de reconnaître leur existence, et par là-même, la nécessité de réparer les dommages qui leur ont été causés. Ceci reste un point clef des négociations, d’autant plus que PBI continue à recenser de nouvelles victimes et de nouvelles menaces.

Le Rapport global sur les déplacements forcés (Informe Global de Desplazamiento Forzado) confirme en effet que la Colombie est le pays d’Amérique latine comptant le plus de personnes déplacées (5,7 millions sur les 6 millions que compte le continent) et le second pays au monde après la Syrie. Les principaux responsables de cette crise humanitaire sont les groupes armés. La Comunidad Intereclesial de Justicia y Paz (CIJP) accompagnée par PBI, se bat aujourd’hui pour qu’un Espace Humanitaire soit créé dans le secteur de Puente Nayero pour interdire l’accès à cette zone aux néo-paramilitaires et aux bandes criminelles. Dans ce contexte de lutte, le défenseur des droits humains Danilo Rueda a récemment été menacé par un homme armé.

Par ailleurs, les menaces contre les défenseurs pour la restitution des terres se multiplient. Les deux principaux leaders accompagnés par PBI dans la région du Curbaradó, Yomaira Mendoza et Enrique Cabeza continuent de recevoir des menaces de mort, notamment après avoir témoigné contre les expulsions auprès de la gendarmerie, et après que Mme Mendoza ait reçu la visite et l’appui de l’Ambassadeur de Norvège, Lars Vaagen. En effet, ces deux défenseurs ont aujourd’hui un rôle clef dans le processus judiciaire en cours contre les entreprises de plantation de bananes, de palmiers et les éleveurs qui occupent des terres de manière illégale dans les régions d’Apartadocito, Llano Rico, El Cerrao, San Rafael et une partie de l’Andalucía. Ces défenseur.e.s ont dû quitter leur propre résidence pour se rendre à Bogotá où leur sécurité n’est toujours pas assurée de manière optimale, malgré les promesses du gouvernement. En effet, le rapport du Haut Commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme retient qu' « il existe encore des difficultés pour garantir les droits de ceux qui réclament la restitution des terres ». Concrètement, Yomaira Mendoza et Enrique Cabeza ont tous deux été victimes de plus de 80 événements menaçant leur sécurité et aucune enquête n’a véritablement été lancée pour déterminer les responsables de ces agressions. La CIJP considère qu’elles sont le fait de groupes paramilitaires qui, selon certaines dénonciations, agissent pour le compte d’entreprises qui aujourd’hui occupent les terres sans permis, et qui ont été identifiées comme telles par l’Institut Colombien du développement rural (Instituto Colombiano del Desarrollo Rural (Incoder)). PBI a donc fait paraître une alerte sur ce sujet le 27 juin 2014, mettant en lumière le fait que les moyens de protection mis en place par l'État n’étaient pas suffisants. Par cette alerte, PBI a également demandé à la communauté internationale d’appuyer les initiatives de la CIJP, qui demande notamment que les ministères compétents mettent en place des plans de restitution des terres et de garantie de la sécurité de leurs occupants, notamment au sein des Zones Humanitaires. La CIJP demande également que soit assurée la sécurité des défenseurs leaders de la restitution des terres et que des enquêtes soient lancées de manière coordonnée pour identifier les auteurs des agressions dont ont été victimes les communautés du Curbaradó, et tout particulièrement pour dénoncer la présence de néo-paramilitaires et leurs relations avec les occupants illégaux de ces terres.

Les initiatives de PBI s’inscrivent donc dans le cadre politique national. En effet, des victimes d’extorsion et d’occupation des terres comptent parmi la première délégation de victimes qui a fait le voyage jusqu’à La Havane le 16 août dernier, aux côtés de victimes issues de la tribu indigène Wayúu également suivies par PBI…