Par Yasmine Louanchi

José Sequeira est un paysan nicaraguayen, originaire de la municipalité de San Miguelito dans le département du Rio San Juan. Le 16 août 2018, il a dû s'exiler au Costa Rica, comme de nombreuses personnes fuyant la répression gouvernementale au moment du soulèvement populaire qui a secoué le pays. Il continue néanmoins de lutter à distance pour le droit à la terre et contre la répression en place. En cette année électorale, la mobilisation est d’autant plus nécessaire que les exilé.e.s ne pourront probablement pas voter. Soutenu par PBI dans le cadre du projet Nicaragua au Costa Rica, José nous a livré un témoignage empreint d’espoir et éclairant quant à la situation des défenseur.e.s nicaraguayen.ne.s exilé.e.s.

 

En 2013, les paysans de la municipalité de San Miguelito s'organisent pour protester contre le projet du canal interocéanique entre les Caraïbes et le Pacifique. Ce méga-projet dirigé par un homme d'affaires chinois, Wang Jing, menace les terres du sud du Nicaragua[1]. Sans respecter le droit à la consultation des populations concernées, le gouvernement a tenté d'imposer un projet à la communauté en expropriant les paysan.ne.s de leurs terres, conformément à la Loi du « Canal » approuvée par l’Assemblée, avec une indemnisation de la valeur cadastrale qui ne correspondait même pas à 500 dollars.

 

Le mouvement paysan qui s'est créé, José le définit comme une « organisation civique » (« organización cívica ») et non comme une organisation politique. C'est le combat pour le droit à la terre qui a motivé les habitant.e.s de la commune, un combat qui survient notamment avec la promulgation d’une loi facilitant l’expropriation des paysan.ne.s et des communautés autochtones. En effet, l'article 12 de la Loi du Canal n° 840 stipule qu' " il est dans l'intérêt public du peuple de la République du Nicaragua d'exproprier tout bien immobilier ou droit à un bien immobilier raisonnablement nécessaire à la réalisation de tout ou partie du Projet, ci-après dénommé " Bien demandé ", qu'il s'agisse de biens privés, de biens communaux des Régions autonomes ou des communautés indigènes, ou de biens détenus par toute Entité gouvernementale ". Cette loi a de manière directe un impact sur la garantie d'un espace vital pour ces paysan.ne.s.
 

« Nous étions désemparés et inquiets, nous avons commencé à nous unir tous, la famille, les hommes, les femmes, etc., nous avons commencé à protester contre ces activités injustes. "
 

En outre, une série de facteurs comme l'insuffisance de terres pour le projet et des preuves de blanchiment d'argent ont rendu encore plus que nécessaire l'organisation paysanne[2]. D’autres municipalités de la région se sont jointes à eux, notamment en participant à l’organisation de 92 marches. En revanche, un changement paradigmatique fondamental s’opère au moment de la révolte populaire de 2018 après la loi sur la sécurité sociale et la retraite. Les jeunes [qui se sont battus contre la réforme de la sécurité sociale], qui allaient perdre 5% de ce qu'il.elles cotisaient, 

sont descendu.e.s dans la rue, jusqu'à ce que le gouvernement "sorte ses forces spéciales". A commencé alors une répression d'une violence incommensurable. Les étudiant.e.s ont marché aux côtés des paysan.ne.s et à partir de là, selon José, le peuple nicaraguayen s'est réveillé.
 

"De nombreux secteurs de la société se sont réveillés, en général le peuple nicaraguayen s'est réveillé, plus uni. "

 

Aujourd'hui, le scandaleux projet du canal a été " mis au placard "[i]. Mais la violence qui a suivi ce soulèvement populaire a été sans précédent. La répression a poussé 77 000 personnes, dont José, à l'exil. Le coût matériel et humain de la lutte a été si important qu'elles[1]  ont dû se retirer et demander l'aide de la communauté internationale.

"Nous ne voulons plus de guerre ni de violence. Nous n'avons pas réussi à faire sortir le gouvernement. " Les exilé.e.s nicaraguayen.ne.s au Costa Rica sont pour la plupart des jeunes, principales victimes de la répression du gouvernement Ortega. Nombre d'entre eux.elles sont au chômage ou ont un emploi informel. José nous a dit que oui, heureusement il travaille encore, mais que la situation des exilé.e.s nicaraguayen.ne.s au Costa Rica est précaire et inquiétante. Beaucoup reçoivent l'aide de campagnes de solidarité internationale, mais les exilé.e.s continuent de vivre dans des conditions particulièrement instables[ii].

 

Les élections de 2021 : une lueur d'espoir ?
 

La répression du soulèvement a été d’une extrême violence.  « La plupart des jeunes qui sont mort.e.s en ville étaient à l’origine des partisan.e.s du régime »u régime », nous dit José, évoquant le souvenir des militant.e.s du Front sandiniste de libération nationale. Mais pour lui, même si le peuple est plus uni aujourd'hui qu'avant les premières manifestations, il ne peut réussir à déloger le gouvernement actuel sans le soutien de l'armée et de la police.

Pour José, les élections de 2021 pourraient être une « fenêtre ouverte » (« 
ventana abierta »), l’espoir d’un retour au Nicaragua sans mettre sa vie en danger. Mais le gouvernement a jusqu'à présent entravé toute tentative d’élection démocratique, niant les droits électoraux des exilé.e.s, bien qu’ils soient garantis par la Constitution nationale.

 

À la fin de l'année 2020, l'Assemblée nationale du Nicaragua a adopté la loi dite de "Défense des droits du peuple à l’indépendance, à la souveraineté et à l'autodétermination pour la paix". Cette loi, qui vise à protéger contre l'ingérence étrangère, interdit la participation aux élections des "traîtres à la patrie" qui « dirigent ou financent un coup d'État, qui altèrent l'ordre constitutionnel, qui promeuvent ou encouragent les actes terroristes, qui réalisent des actes portant atteinte à l'indépendance ou à la souveraineté et à l'autodétermination, qui incitent à l'ingérence étrangère dans les affaires intérieures. »[iii] En d'autres termes, cette loi empêche la participation électorale de tout opposant.e ayant participé au « coup d’Etat » de 2018, en particulier ceux.elles qui ont bénéficié d'un soutien étranger, y compris les exilé.e.s. Beaucoup ne veulent pas rentrer voter, par crainte d’être arrêté.e.s et de ne pas pouvoir repartir. Certaines des personnes exilées qui sont rentrées ont été emprisonnées, et le vote à distance risque de ne pas être accepté. Pourtant, l'action politique ne semble pas ralentir de la part des exilé.e.s nicaraguayen.ne.s au Costa Rica. Selon José, donner de la visibilité est ce qui pourrait changer le cours de l'histoire.



" Nous seul.e.s, les Nicaraguayen.ne.s, nous ne pouvons pas. "

 

Quand José pense à ce qui le pousse à continuer, il répond que c'est "honorer tous les frères qui ont offert leur vie pour un Nicaragua libre". Cette lutte à distance est facilitée par un accompagnement tel que celui que fournit PBI qui donne une visibilité internationale plus que nécessaire. Son témoignage est aussi un appel à la communauté internationale : "Ne nous laissez pas seul.e.s ! "
 

La situation au Nicaragua est toujours très tendue. Un appareil militaire est maintenu et le régime est soutenu "par la force des armes". Pourtant, José et ses camarades du mouvement paysan n'ont pas perdu espoir. Ils croient toujours que si le peuple s'unit, et avec le soutien de la communauté internationale, ils peuvent vivre dans un Nicaragua libre. Le combat continue, dans un contexte où le président Daniel Ortega continue d’attaquer ouvertement les organisations de défense des droits humains[iv].