Portrait de Lorena CABNAL

Par Barbara Bauman

 

Lorena CABNAL est une défenseure des droits humains guatémaltèque issue des populations autochtones Maya Kekchi et Xinca. Elle se définit comme étant une « féministe communautaire », liant corps, territoire et Terre.

 

Sa famille paternelle ayant été déplacée forcée durant la guerre civile, elle a grandi dans la périphérie de Ciudad Guatemala, la capitale du pays. Survivante d’inceste, elle a quitté le domicile familial à l’âge de 15 ans. Bien qu’elle n’ait eu accès à l’école qu’à partir de 14 ans, elle a suivi des études de psychologie à la suite desquelles elle est partie s’installer dans la montagne Xinca, en 2002.  

 

Constatant la situation des femmes sur place et sensible à la lutte contre les violences sexuelles, elle a participé à la création d’un groupe de femmes remettant en cause le patriarcat au sein des structures traditionnelles kikche et souhaitant dénoncer les violences sexuelles commises contre elles et contre des enfants. Via ce réseau d’entraide féminin, elle a activement milité pour une sensibilisation à ces sujets et élaboré une liste des besoins les plus urgents dans sa communauté (malnutrition infantile et féminine, grossesses adolescentes, etc.). Ses interpellations des autorités sont toutefois restées lettre morte, raison pour laquelle elle a sollicité l’organisation « Sector de Mujeres » qui l’a aidée, avec ses camarades, à créer l’Association pour Femmes Autochtones de Santa Maria Xalapán, AMISMAXAJ, le 24 juillet 2004. Leur projet : la « défense du corps-territoire et du territoire-Terre ». Cette association a côtoyé de nombreuses autres formations féministes latino-américaines, participant à la vivacité de ces mouvements issus des populations natives au Guatemala comme en Bolivie, sous l’influence de Julieta Paredes.

 

Afin de lutter contre l’analphabétisme des femmes, Lorena CABNAL a également fondé une première université locale au sein de laquelle elle a non seulement enseigné la lecture et l’écriture mais a aussi mis en place des cours d’éducation sexuelle pour sensibiliser à la contraception.

 

Elle a par ailleurs pris une part active à la lutte contre l’industrie minière dans la région : depuis 2008, de nombreuses concessions ont été octroyées sans consultation des communautés locales dans le département de Jalapa et la montagne Xalapán. Différentes associations, dont AMISMAXAJ, ont mené des manifestations pacifiques et obtenu des dizaines de milliers de signatures pour exprimer leur désaccord. La commission gouvernementale chargée des mines a toutefois autorisé 31 licences d’exploration dans cette zone. Face au mécontentement grandissant et aux manifestations organisées, le gouvernement a décrété l’état de calamité pour famine afin de restreindre les mouvements de la population. De même, en 2013, le gouvernement a décrété l’état de siège et placé de nombreux militaires dans la zone afin de faire taire les opposant.e.s aux projets. Dans ce cadre, de nombreuses exactions ont été commises sur place, dont des violences sexuelles, ainsi que des intimidations envers les défenseur.e.s territoriaux.

 

Dès 2004, elle a commencé à faire l’objet de messages de menaces en raison de son activisme, ces intimidations allant jusqu’à l’organisation de raids à l’encontre de sa famille en 2007. Dans ce contexte, en 2009, PBI a commencé à l’accompagner ainsi qu’AMISMAXAJ.

 

Ainsi, sa lutte contre le « patriarcat ancestral originaire » et ses activités de plaidoyer au cours desquelles elle a dénoncé des agresseurs sexuels, des féminicides et des réseaux de traite n’ont pas plu à tout le monde ; après des années de pressions voire de menaces émanant de catéchistes, de membres du Front Républicain Guatémaltèque (FRG) et de narcotrafiquants, Lorena CABNAL a été bannie de sa communauté par l’organisation territoriale Action communautaire Xinca de Xalapan le 5 juin 2011. Elle a à cette occasion été accusée, entre autres, d’avoir été influencée par des femmes blanches féministes et d’avoir refusé une seconde grossesse.

 

Le 12 octobre 2015, elle a fondé TZK’AT (« réseau » en kekchi), le « Réseau de Guérisseuses Ancestrales du Féminisme Communautaire d’Iximulew - Guatemala », actuellement composé de 13 femmes issues de différentes communautés natives guatémaltèques. Ce réseau défend une perspective qui consiste à considérer le corps comme étant, d’une part, un territoire, utilisé au profit du pouvoir patriarcal, ancestral et colonial et, d’autre part, un espace de ressourcement vital. Il a été créé dans une démarche d’accompagnement et de soutien des défenseures de la vie et des droits humains, exposées à de nombreuses violences et à de nombreux risques et soumises à différents types de discriminations en raison de leur genre, de leur appartenance à un groupe ethnique et de leur origine sociale. Il rassemble non seulement des guérisseuses mais aussi des sages-femmes, des médecins ou encore des herboristes. Leur but est de guérir de la violence subie depuis des générations le corps et l’esprit des femmes issues des communautés natives, qu’il s’agisse de la violence issue de la guerre civile, du racisme, de la colonisation, du système économique néolibéral ou du patriarcat. Ce réseau revendique « la guérison politique comme une nécessité » et tend à réinstaller les femmes dans l’espace public en position de leader communautaire. TZK’AT mène également des actions de plaidoyer et crée des liens entre différentes communautés pour renforcer la solidarité les apprentissages entres les unes et les autres.

 

PBI accompagne ce réseau depuis janvier 2018, notamment à travers une présence physique lors des cérémonies organisées chaque 8 du mois pour rendre hommage (« acuerpamiento espiritual », ndlr) aux survivantes, mères et membres des familles des quarante-six filles brûlées et asphyxiées dans le Foyer d’Etat de la Vierge de l’Assomption en mars 2017.  

 

Lorena CABNAL est également membre de membre de l’Alliance contre la criminalisation des défenseur-e-s des droits humains et des richesses naturelles du Guatemala.