Catatumbo veut dire en langage indigène Bari: zone d’éclairs; et c’est peut-être bien le ciel qui tombe sur la tête des habitants de cette région de 11 municipalités à la frontière est de la Colombie. Nous tenterons de vous ouvrir une lucarne sur les dynamiques qui oppressent les civils de cette région. Ils et elles vivent en tenailles au cœur d’enjeux politico-économiques ; et acteurs armés et les défenseur.e.s des droits humains qui paient cher le prix de la justice. PBI Colombie, qui travaille dans cette région, salue le courage des défenseur.e.s du Catatumbo.
Légende : «Le paysan du Catatumbo ne veut pas plus de larmes ni de tristesse mais la paix et la tranquilité», crédit photo : PBI Colombie
Un territoire complexe
En Colombie, le conflit armé et socio-politique est avant tout un conflit de contrôle des terres. Le Catatumbo, initialement reconnu comme un parc naturel, n’échappe pas à cette règle. En revanche, le conflit foncier qui a opposé le peuple indigène Bari et la réserve paysanne au Nord du Catatumbo est elle singulière. A ce conflit entre civils se sont greffées les guérillas EPL (Armée Populaire de Libération) et ELN (Armée de Libération Nationale) d’un côté et de l’autre, transformant un conflit de voisinage en conflit armé particulièrement sanglant. Si dernièrement ce conflit en particulier semble se résorber, il demeure le terreau des combats violents et fratricides qui dominent la région.
Dans ces onze municipalités ont également cohabité un front des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) qui sont maintenant dans une zone de transition conformément aux accords de paix. Les ex-combattants restent cependant des cibles comme le prouve par exemple le massacre de neuf personnes en juillet 2018 dans la ville d’El Tarra, dont plus de la moitié des victimes sont des ex-combattants. Les FARC étaient, avant 2016, en tension avec divers groupes paramilitaires: AGC, Rastrojos, et de nombreux autres petits groupes, quand ils ne s’affrontaient pas directement avec l’armée colombienne. Sous la nouvelle présidence de Ivan Duque, le Catatumbo a vu les militaires affluer en masse. L’armée est donc surement l’acteur armé disposant du plus d’effectifs actuellement dans le Catatumbo. La présence de tous ces différents acteurs armés a fait basculer la région dans une violence extrême et quotidienne. On compte aussi depuis deux ans des déplacements massifs de population depuis certaines zones, comme Tibu par exemple.
Enfin, la région du Catatumbo étant frontalière, elle est régulièrement le foyer de divers trafics. Le narco-trafic de la coca prédomine, ainsi que celui d’essence qui permet d’alimenter les laboratoires de transformation de la drogue. Cette économie illicite maintient financièrement les groupes armés, qui opposent d’autant plus de résistance aux tentatives d’application des accords de paix prévoyant la substitution des plants de coca, asphyxiant encore un peu plus les paysan.ne.s.
D’autre part, cette zone frontalière a récemment été le théâtre des tensions géopolitiques et de migrations massives entre la Colombie et le Venezuela. Les personnes migrantes vénézuéliennes sont particulièrement vulnérables, d’autant que les politiques colombiennes n’ont guère été hospitalières. Les villes frontalière telles que Cúcuta voient arriver de nombreux Vénézuéliens et Vénézuéliennes sans que les politiques publiques ne mettent en place les mesures nécessaires à leur accueil.
La multiplicité des facteurs de violence brouille une compréhension globale des enjeux et des risques et rend la société civile d’autant plus vulnérable.
Une société civile meurtrie
La société civile colombienne est particulièrement riche en associations diverse, et le Catatumbo n’est pas en reste. Il compte, comme de nombreux autres départements du pays, des associations indigènes, paysannes, féministes, étudiantes et ouvrières, entre autres. Par soucis de lisibilité nous nous arrêterons sur le cas de l’association ASCAMCAT (Association paysanne du Catatumbo). Elle est appuyée par la ACVC (Association Paysanne de la Vallée Cimitarra) et CCALCP (Collectif d’ Avocates Luis Carlos Perez), que PBI accompagne, et qui travaillent principalement à la défense des droits des paysan.ne.s de la région.
ASCAMCAT est une association qui a énormément souffert des tensions présentes dans cette région. Elle s’est mobilisée en zone rurale, notamment afin que les accords de paix entre les FARC et le gouvernement ne reste pas lettre morte. Ses membres n’ont eu de cesse de marteler le besoin d’impulser les politiques de réforme agraire et de restitution des terres prévues dans le chapitre 1 de l’Accord de Paix. Ces défenseur.e.s des droits humains ont accompagné et encouragé également les paysannes et paysans qui se sont inscrits dans les programmes volontaires de substitution des cultures illicites (de coca).
L’engagement et la solidarité de ces héros a souffert d’injustes représailles de la part des divers groupes armés de la région. Le bilan d’ASCAMCAT des deux dernières années est tragique. Cette organisation de base a vu onze de ses membres actifs se faire assassiner depuis 2016 et plusieurs autres déplacés. Les menaces et intimidations sont nombreuses. PBI est particulièrement préoccupé par la vulnérabilité des leaders des communautés qui souffrent du conflit en première ligne.
Les initiatives qui inspirent
Face à cette terrible situation, PBI tient à saluer le courage des organisations de terrain, et notamment la coalition salutaire de la Commision de la Vida qui rassemble trois grandes associations du Catatumbo: ASCAMCAT, CISCA (Comité d’Intégration Sociale du Catatumbo) et le MCP (Mouvement pour une Constituante Populaire). La collectivisation leur a permis d’être plus fortes et plus visibles face aux autorités.
D’autres associations comme CCALCP et la ACVC se portent garantes et offrent une protection aux leaders qui restent dans les territoires. CCALCP aide les victimes du conflit à défendre leurs droits fondamentaux afin d’obtenir justice. La ACVC, quant à elle, travaille sur la formation des communautés en matière de protection et d’auto-protection, afin de réduire leur vulnérabilité. PBI - Colombie effectue du plaidoyer et fournit un accompagnement international quand cela est possible pour soutenir ces associations qui affrontent la guerre que les accord de paix n’ont pas endiguée.
Nous assurons depuis PBI France notre solidarité avec ces associations et communautés en résistance pour obtenir la paix en Colombie.
Agathe Chapelain