Coordinateur de la Casa del Migrante de Saltillo depuis six ans, Juan José Villagómez était en tournée en Europe avec PBI début octobre pour sensibiliser les autorités et l’opinion publique à la problématique des migrants au Mexique. La Casa del Migrante apporte une aide humanitaire aux migrants centraméricains, mais réalise également un travail d’accompagnement juridique et de dénonciation des violations des droits dont sont très souvent victimes les migrants. En raison des nombreuses menaces, attaques et intimidations reçues, les membres de l’auberge bénéficient de mesures de protection de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, et ils sont accompagnés par PBI Mexique depuis 2013.
Les migrants, victimes récurrentes de torture et de disparition forcée
Début octobre, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, manifestait sa grande préoccupation au sujet des nombreuses violations des droits au Mexique, notamment le drame des disparitions forcées, parlant d’un pays « ravagé par la forte insécurité, les disparitions, les meurtres, le harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme et des journalistes, la violence contre les femmes, et les terribles abus contre les migrants et les réfugiés transitant par le pays en route vers les Etats-Unis ».
Le scandale des 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa en septembre 2014 a révélé au monde l’ampleur du fléau que représente la disparition forcée au Mexique. Selon les chiffres officiels vraisemblablement sous-évalués, on compte 22 000 victimes de disparition forcée. Les migrants sont particulièrement touchés car ils sont vulnérables : «Nous travaillons avec des personnes victimes de tortures durant leur voyage. Le crime organisé prend en otage les migrants en échange de rançons que doivent payer leurs proches souvent aux Etats-Unis. Beaucoup sont torturés, puis tués ». Pour Juan José Villagómez, les investigations de l’Etat mexicain sont quasiment inexistantes. Il est incroyable selon lui qu’un pays comme le Mexique, qui dépense des milliards de dollars dans la guerre contre le narcotrafic, ne soit même pas en capacité de se doter d’un système de médecine légale décente et d’un système de banque de données génétiques pour répondre à la crise des disparitions.
La répression des migrants
Juan José observe depuis quelques années plusieurs changements significatifs dans le phénomène migratoire : tout d’abord, de plus en plus de Honduriens émigrent : ils constituent 90% des migrants accueillis par la Casa del Migrante de Saltillo. Il s’agit d’une migration assez nouvelle, liée à la décomposition du tissu social depuis l’ouragan Mitch et la corruption généralisée suite à l’afflux d’argent de l’aide humanitaire. Les Salvadoriens et Guatémaltèques, très nombreux à se rendre aux Etats-Unis ont construit un réseau d’entraide assez fort au Mexique, ce qui explique leur moindre présence dans les refuges. Juan José observe également de plus en plus de familles, de personnes très jeunes ainsi que des femmes. Selon lui, les migrants ne sont plus seulement des migrants économiques mais également des réfugiés fuyant l’extrême violence des pays d’Amérique centrale, surtout le Honduras, pays le plus dangereux au monde.
Constatant le nombre élevé de mineurs migrants aux Etats-Unis (près de 40 000), le président Obama a rencontré ses homologues mexicain, Enrique Peña Nieto, et centraméricains afin de mettre en place le plan « frontière sud » qui consiste à militariser la frontière entre le Guatemala et le Mexique, afin de bloquer le passage des migrants.
La fermeture de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis et la construction du mur en 2006 a eu lieu alors que le président Felipe Calderon décidait d’entamer une guerre contre le narcotrafic, sous pression du gouvernement Bush. Ces deux politiques parallèles ont conduit au développement de réseaux de passeurs (« coyotes »), en lien direct avec la criminalité organisée et les polices locales corrompues. La traversée est devenue extrêmement dangereuse et coûteuse pour les migrants : un voyage du Honduras aux Etats-Unis coûte environ 8 000 $, une fortune pour la population centraméricaine ; elle crée un fort endettement des migrants qui a des répercussions sur l’économie des pays de l’isthme centraméricain.
Les réponses à apporter aux crises migratoires
Juan José Villagómez insiste sur l’effet contre-productif du mur, puisqu’il a rompu la circularité des migrations : auparavant, les Mexicains étaient des travailleurs saisonniers, qui rentraient chez eux une fois la saison terminée, alors qu’aujourd’hui, non seulement ils sont obligés de rester, mais ils font venir leur famille.
Selon lui, la solution n’est ni dans les murs, ni dans les déportations, que ce soit en Amérique latine ou en Europe, puisqu’on observe la détermination des migrants à franchir vaille que vaille tout obstacle érigé pour leur barrer la route : « migrer, c’est comme un jeu pile ou face. En toute connaissance des risques, on tente, soit ça passe, soit ça casse et on recommence ».
Ainsi, le programme d’éducation face aux dangers de la migration mis en place dans les pays centraméricains à la suite du plan « frontière sud » est inefficace, puisque les migrants ont déjà connaissance des dangers. En exemple, il cite ces femmes qui, avant de prendre la route, prennent des pilules contraceptives, car elles savent qu’elles ont de grands risques de se faire violer sur le chemin (comme on peut le voir dans le film Rêves d’Or que nous avons projeté à Montreuil à l’occasion de cette tournée).
Lors de sa tournée en Europe, Juan José Villagómez a évoqué avec les différents acteurs institutionnels et de la société civile la question de la crise migratoire en Europe : « les migrants avaient l’espoir que les grandes démocraties pouvaient être plus humaines dans la gestion de la crise migratoire, mais ils ont très vite déchanté. Aujourd’hui, les migrants attendent de voir ce que les Européens vont faire en tant que peuples et non les gouvernements ». A titre d’exemple, il cite la forte solidarité qui s’est mise en place au fil des années entre les migrants et la communauté de Saltillo, qui est mobilisée pour préparer chaque repas dans le refuge.