A l’occasion du Sommet International des Défenseur.e.s des Droits Humains (DDH) qui s’est tenu à Paris les 29, 30 et 31 octobre, nous avons réalisé des entretiens avec quatre défenseur.e.s accompagné.e.s par PBI. L’occasion de revenir sur leurs impressions quant à ce sommet mais aussi sur leur combat et leurs espoirs pour l’avenir.
Pouvez-vous vous présenter et présenter les luttes que vous défendez au Sommet Mondial des Défenseurs des Droits Humains ?
José Bó (JB) : Je m’appelle José Bó Mo je suis originaire du peuple Maya Q’eqchi et je suis un défenseur à La Résistance Pacifique de Cahabón, qui oeuvre pour la défense du territoire, contre la dépossession de la terre, l’abattage d’arbres et l’exploitation abusive de nos rivières au Guatemala.
Lolita Chávez (LC) : Mon nom est Aura Lolita Chávez, je suis une féministe de la communauté guatémaltèque de la région de Quiché et membre du peuple K’iche et du Conseil des peuples K’iche. Depuis 2007, notre organisation oeuvre pour la défense de la vie, de la nature, du territoire et des terres. Nous luttons pour l’eau, la montagne et contre la la spoliation et le pillage des biens communs. K’i signifie « beaucoup » et che’ signifie « arbres », nous sommes littéralement le peuple parmi les montagnes qui vit avec les arbres.
Suani Martínez (SM) : Je m’appelle Suani Martínez et je travaille avec le CEHPRODEC (Centre Hondurien pour la Promotion du Développement Communautaire) et avec la FUPNAPIB (Fondation du Parc National Pico Bonito). Je travaille principalement dans le domaine de la défense de l’eau en tant que droit humain, de la défense du territoire et de l’environnement. Je suis devenue défenseure sans l’avoir prévu, en voyant les injustices qui avaient cours au sein de ma communauté.
J’ai commencé à être une défenseure sans le savoir et sans y avoir pensé. Le fait de voir autant d’injustices dans ma communauté m’a amenée à lutter.
Yessica Esparza (YE) : Je suis Yessica Esparza Marrero, je collabore avec le Centre pour les Droits de l’Homme Paso del Norte, au Mexique (CDHPN). Au CDHPN, nous accompagnons depuis 2011, les victimes de torture et les proches des personnes disparues.
La Déclaration sur les Défenseurs des Droits de l’Homme a maintenant 20 ans. Pour vous, en tant que défenseur.e.s des droits humains, que représente ce texte ?
JB : Pour nous, c’est un instrument pour protéger nos vies et appuyer nos luttes dans la défense du territoire. Cela sert à ce que les différentes instances gouvernementales ne nous criminalisent pas et ne nous empêchent pas de lutter pour nos droits.
LC : Cette déclaration est un instrument juridique qui soutient notre travail de défense des droits humains et nous protège de la répression, de la criminalisation et de la judiciarisation de ceux et celles qui se trouvent dans ces luttes. Cette déclaration nous incite à continuer à nous battre et il est important qu’elle soit largement connue et mise en pratique.
SM : Pour moi, cette déclaration est un espoir. Pendant des années, nous avons défendu le territoire et le peuple contre les violations des droits humains. Ce que fait réellement cette déclaration, c’est de nous légitimer en tant que défenseur.e.s, elle nous soutient devant les États et les autres acteurs et actrices et les rend responsables de notre protection.
YE : La déclaration réunit les caractéristiques nécessaires à la défense des défenseur.e.s des droits humains. Cependant, la situation des défenseur.e.s s’est aggravée et cette déclaration devrait être rendue plus visible au sein des États.
Comment la Déclaration sur les DDH a-t-elle eu un impact concret sur vos luttes et sur le terrain ? Cette déclaration a-t-elle été respectée ?
JB : Au Guatemala, cette déclaration a été un échec, et elle se reflète dans la persécution dont nous souffrons pour le travail que nous faisons pour la défense du territoire et des droits humains. Nous n’avons pas le droit de manifester pacifiquement sans être criminalisé.e.s et stigmatisé.e.s par les autorités locales. Par exemple, le camarade Bernardo Caal, célèbre défenseur des droits humains à Cahabón, a été criminalisé et emprisonné pour persécution politique en raison de ses luttes contre la dépossession de nos terres et l’accaparement de nos rivières par des projets hydroélectriques.
LC : Sur le terrain, cet instrument n’est pas reconnu par l’État. Nous ne sommes pas assuré.e.s de pouvoir nous rencontrer librement ou d’exprimer nos différends sans crainte. De plus, des lois contre les mouvements sociaux sont en train de voir le jour. Personnellement, en tant que défenseure des droits humains et de la vie, je ne me suis jamais sentie protégée par l’État, qui m’a également délégitimée. Et en raison de ce manque de protection, j’ai dû quitter mon pays, auquel je suis toujours profondément attachée.
SM : Cette déclaration n’est pas appliquée dans les territoires. Le Honduras subit violations sur violations concernant les droits humains. Un grand nombre de fonctionnaires et d’institutions d’État ne sont même pas au courant de cet instrument. Comment peut-on accomplir quelque chose qui n’est même pas connu ou reconnu ?
YE : Au Mexique, cet instrument n’est pas appliqué. L’État se tait, diffame, stigmatise, fait disparaître, criminalise, torture, arrête et assassine les défenseur.e.s des droits humains.
Quels seront, selon vous, les principaux défis des défenseur.e.s des droits humains dans les années à venir ?
JB : Le principal défi est la recherche de cet objectif qui est de vivre en paix sans toute la persécution que subissent les DDH. Lutter contre la stigmatisation, la criminalisation et les menaces dont nous sommes victimes pour la défense de nos droits et de nos territoire.
LC : La situation dans la région est assez difficile et complexe. De plus en plus de politiques se positionnent en ennemis des droits humains. Compte tenu de cela, l’un des plus grands défis est la construction de réseaux qui transcendent les frontières, de manière à pouvoir continuer à vivre. Un autre défi est la visibilité de nos luttes sur les territoires, que notre travail en tant que défenseur.e.s soit reconnu et soutenu.
SM : Chaque jour, nous nous sentons plus acculé.e.s et nous espérons que la communauté internationale nous apportera son soutien, car nos propres États ne nous appuient pas. Un autre des principaux défis au Honduras est la reconnaissance de notre travail en tant que défenseur.e.s.
YE : Survivre, tel est le plus grand défi que doivent relever les DDH au Mexique aujourd’hui. Au cours du dernier mandat présidentiel, les réformes entravant la défense des droits humains et du territoire se sont multipliées, ce qui se traduit par une crise constante en matière de législation.
Vous avez bénéficié de l’accompagnement de PBI. Quel impact a eu cet accompagnement sur votre rôle de défenseur.e des droits humains ? Avez vous un message pour les équipes de PBI ?
JB : Je voudrais d’abord vous remercier pour l’accompagnement que PBI nous donne, vous remercier pour tous vos efforts et pour nous permettre de nous exprimer dans des espaces comme celui-là et pour tout le soutien apporté à nos luttes. Depuis que l’accompagnement a commencé, j’ai subi moins de menaces et moins d’attaques en raison de mon combat pour les droits humains. L’accompagnement de PBI nous fait plaisir, nous fait nous entir plus en sécurité et nous apporte un soutien moral pour continuer à mener nos combats.
LC : PBI nous accompagne moi et nos communautés depuis de nombreuses années, cet accompagnement n’apporte pas seulement la sécurité, il sauve des vies. PBI est présent physiquement à nos côtés sur place, ce qui visibilise nos luttes et les problèmes auxquels nous devons faire face. Je voudrais remercier tous les membres de PBI, car ils portent le Guatemala, les Guatémaltèques et leurs combats, dans leurs coeurs. Ils partagent nos joies, nos émotions, nos fêtes mais aussi nos souffrances, notre indignation, et rapportent dans leurs pays nos dénonciations et nos luttes.
SM : Non seulement PBI nous soutient dans les démarches, mais son accompagnement apporte de la légitimité à nos combats. Peu de personnes sont à nos côtés et presque personne ne nous accompagne, c’est pourquoi nous sommes très reconnaissants du travail que PBI réalise au Honduras avec nous.
YE : PBI nous a principalement accompagné sur des thèmatiques de sécurité. Notre organisation est très surveillée, nous sommes constamment épié.e.s et en danger. Bénéficier de l’accompagnement d’une organisation internationale nous apporte appui et sécurité. Avoir quelqu’un qui se préoccupe de celles et ceux qui se préoccupent des autres est précieux, c’est pourquoi je voudrais les remercier et dire à tous les membres de PBI, qu’ils sont aussi des acteurs importants de nos combats.
Que pourraient faire les organisations internationales pour vous aider dans vos luttes ?
SM et YE : Il est important de faire pression sur les États, pas seulement à travers des déclarations mais aussi grâce à des sanctions et de pressions économiques. Les organisations internationales nous aident aussi lorsqu’elles soutiennent la création et la promotion d’espaces comme ce Sommet, ce qui facilite la liaison, l’articulation entre nos organisations et la visibilité de nos problématiques.
Entretiens réalisés par Thomas Dolcerocca, Ricardo Henao Galvis, et Cyrielle Raveneau