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Mexique: Préoccupations autour du Mécanisme de protection pour les défenseur.e.s des droits humains et les journalistes

Mexique: Préoccupations autour du Mécanisme de protection pour les défenseur.e.s des droits humains et les journalistes

Les organisations signataires expriment leur vive préoccupation concernant les récents évènements liés au Mécanisme de protection des défenseur.e.s des droits de l’Homme et des journalistes au Mexique. Nous estimons que ces évènements pourraient être sources d’encore plus de risques pour les défenseurs des droits humains et les journalistes. Par conséquent, les organisations signataires exhortent la Secretaria de Gobernacion (Segob -équivalent du Ministère de l’Intérieur) à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le fonctionnement effectif et efficace du Mécanisme, et garantir l’intégrité physique et psychologique des défenseurs et journalistes dont les cas sont enregistrés auprès de ce Mécanisme.

Le 15 mars 2014, Monsieur Juan Carlos Gutierrez Contreras, chef de l’Unité des droits de l’Homme de la Segob, et quatre autres fonctionnaires ont démissionné de leurs postes au sein du Mécanisme de protection, entité créée par le Gouvernement fédéral en juin 2012 en application de la Loi pour la protection des défenseur.e.s des droits de l’Homme et les journalistes. Son objectif principal est de fournir des mesures de protection pour les défenseurs et les journalistes qui font face à une situation de risque en raison de leur travail de légitime défense et de promotion des droits humains. En conséquence de cette démission, le Mécanisme a perdu un tiers de ses ressources humaines. Les quatre autres fonctionnaires ont expliqué leur démission par de mauvaises conditions de travail et une pression excessive dans leurs tâches professionnelles.

Le 24 mars, en réponse à ces démissions, le Conseil consultatif – l’entité qui représente la société civile dans les réunions du Conseil d’administration où s’analysent et se décident les mesures de protection- a annulé sa participation à ces réunions, considérant que les conditions ne sont actuellement pas réunies pour mener à bien cette analyse ni pour travailler sur des questions de protection. Comme exprimé par la société civile mexicaine, les organisations signataires soutiennent la décision du Conseil consultatif et estiment que l’absence prolongée d’un tiers des ressources humaines du Mécanisme, et en particulier de son chef, paralyse le Mécanisme et démontre un manque préoccupant de soutien politique et institutionnel de l’Etat mexicain au Mécanisme. Sans la participation du Conseil consultatif, la société civile n’est plus représentée dans le Mécanisme comme prévu initialement par la loi.

Ces démissions, ajoutées à la sortie du Conseil consultatif du Conseil d’Administration, sont les derniers développements préoccupants d’une série de problèmes identifiés depuis 2013, tant par la société civile mexicaine que par les organisations signataires :

- Des retards excessifs dans le traitement des demandes : depuis la mise en service du Mécanisme, 130 demandes de mesures de protection ont été acceptées par le Mécanisme. Parmi elles, seulement 41 cas ont été résolus alors que les 89 restants n’ont pas encore été traités. Cela signifie que 70% des cas enregistrés par le Mécanisme souffrent de longs retards, en particulier au stade de l’analyse de risques. La société civile a documenté que ces retards peuvent durer jusqu’à six mois et, pendant ce temps, les défenseurs et journalistes se trouvent dans des situations de grave danger.

- Obstacles dans l’accession aux fonds du Mécanisme : bien que 263.9 millions de pesos (20.3 millions de US$) ont été alloués au Mécanisme de sa création jusqu’à aujourd’hui, ces ressources n’ont pas été accessibles en raison de procédures bureaucratiques internes très lourdes. L’incapacité d’accéder à ces fonds est source de préoccupation puisqu’elle affecte négativement la mise en œuvre des mesures de protection adoptées par le Mécanisme.

- Des efforts insuffisants pour mener à bien les enquêtes et poursuivre les auteurs d’attaques : même si l’inclusion du Bureau du Procureur général est prévue dans le Mécanisme, celle-ci n’a pas eu un impact significatif dans l’identification et la poursuite des auteurs d’attentats et d’attaques contre les défenseurs. Sans des recherches effectives et des poursuites judiciaires en accord avec les normes internationales, les mesures de protection accordées sont insuffisantes et le Mécanisme est insoutenable à long terme. Lors d’une conférence de presse organisée par la société civile le 27 mars, l’accent a été mis sur le modèle d’impunité qui prévaut à l’égard des auteurs d’attaques contre les défenseurs.

- L’Unité de prévention, de suivi et d’analyse n’a pas été installée. Ceci, ajouté à la fréquente rotation du personnel, a mené à des difficultés pour le transfert d’informations sur les cas pris en charge. Par conséquent, l’évaluation des risques n’a pas été réalisée correctement. Les mesures de protection sont le plus souvent de nature policière et d’autres critères clés pour la définition de mesures de protection, comme le sexe ou le contexte socio-politique, ne sont pas suffisamment pris en compte. Certains défenseurs et journalistes ont rapporté que les mesures octroyées ne correspondent pas au niveau et au type de risques qu’ils rencontrent, et donc ne leur sont pas utiles, voire ont même augmenté leur niveau de risque. D’autres ont dénoncé que les mesures de protection prises ne sont pas fondées sur une analyse de risques adoptée formellement par le Conseil d’administration.

- Un soutien politique institutionnel des plus hauts niveaux de gouvernement est nécessaire pour s’assurer que la protection des défenseurs et journalistes est une priorité pour l’administration actuelle et que le personnel opératif du Mécanisme peut compter sur le soutien et la coopération des autres entités gouvernementales à l’heure de mettre en œuvre les mesures de protection. Bien 31 des 32 entités mexicaines ont signé un accord de coopération avec le Mécanisme, dans la pratique il existe un manque de coordination entre les différents niveaux de gouvernement qui fait obstacle à la mise en œuvre effective des mesures de protection octroyées. En octobre 2013, le Secrétaire de Gobernacion Miguel Osorio Chong s’est réuni avec le Conseil consultatif et a assuré que le Mécanisme pouvait compter sur son soutien. Il s’est également engagé à le promouvoir devant les instances de gouvernement compétentes. Lors de la conférence de presse du 27 mars, la société civile mexicaine a demandé au Secrétaire Osorio Chong de convoquer de toute urgence une réunion pour discuter de la crise actuelle du Mécanisme de protection.

Les organisations signataires expriment leur profonde préoccupation sur cette situation et exhortent la Segob à prendre les mesures suivantes :

- De manière urgente, nommer un nouveau chef de l’Unité des droits de l’Homme en veillant à ce que la personne sélectionnée ait une vaste expérience professionnelle en matière de droits de l’Homme et de protection. De même, il s’agit de s’assurer que tous les postes seront pourvus prochainement, que les personnes sélectionnées auront une vaste expérience de travail dans les droits de l’Homme et la protection, et qu’elles recevront la formation pertinente et nécessaire pour mener à bien leurs fonctions de façon professionnelle. Communiquer ces nominations auprès de la société civile ;

- Convoquer immédiatement une réunion avec les organisations de la société civile pour les informer des mesures qui sont prises pour surmonter les grands défis auxquels fait face le Mécanisme. De même, communiquer avec la société civile sur les mesures prises pour garantir leur protection pendant que les problèmes structurels sont en train d’être réglés ;

- Publier une feuille de route détaillant des actions concrètes pour résoudre les lacunes mentionnées antérieurement, ainsi qu’un calendrier spécifiant les moments où ces actions seront mises en œuvre. Inclure la société civile dans la création dudit plan et l’inviter à participer activement à chaque phase du processus d’examen ;

- Garantir l’intégrité physique et psychologique de tous les défenseur.e.s et journalistes en situation de risque en raison de leur travail légitime, et qui se trouvent actuellement dans une situation de risque encore plus élevée du fait de la crise du Mécanisme de protection. Veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour s’assurer que leurs préoccupations quant à leur protection et sécurité soient traitées de façon adéquate et rapide.

 

2 avril 2014

Organisations signataires :

Peace Brigades International
Front Line Defenders
Latin American Working Group
Washington Office on Latin America