Aujourd’hui en Colombie, après 22 ans d’accompagnement auprès des défenseur-e-s des droits humains dans ce pays, PBI célèbre le fait que nous puissions être témoins de la conclusion d’un accord de paix entre le Gouvernement colombien et les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). C’est une avancée fondamentale après plus de 50 ans de conflit armé et huit millions de victimes du conflit, dont la majorité sont des civils. C’est un pas immense vers une société moins violente, plus respectueuse des droits humains, et, nous l’espérons, plus de justice. Le gouvernement et les FARC se sont engagés à ce que dorénavant “soient rompus tous liens entre la politique et l’usage des armes».
PBI travaille dans le monde entier pour ouvrir des espaces pour la paix et faire face de manière non violente aux conflits. PBI croit que les défenseur-e-s des droits humains ont un rôle fondamental et indispensable à jouer dans la transformation des sociétés où ont lieu des conflits violents en des sociétés en paix et où il existe une justice sociale. La paix signée aujourd’hui en Colombie a été le fruit d’un travail de négociation de quatre ans entre le Gouvernement et les FARC, mais elle a surtout été le produit de décennies de lutte et de travail des organisations de droits humains, des organisations de victimes et d’autres mouvements sociaux colombiens. En tant que société civile, ils ont fait de nombreuses propositions de changement, lesquelles se retrouvent pour beaucoup dans l’Accord Final signé aujourd’hui. PBI Colombie est fière d’avoir accompagné ces défenseur-e-s lors de ce travail long, difficile et dangereux qui a coûté la vie à nombre d’entre eux.
La signature de cet Accord ne signifie pas pour autant la fin de l’histoire : c’est au contraire le début d’un processus encore plus important. Cet Accord comporte de grandes avancées pour améliorer les garanties concernant la défense des droits humains et pour faire advenir une société plus juste. Il inclue des mécanismes pour mettre à jour la vérité historique concernant les graves crimes perpétrés durant le conflit, ce qui est nécessaire pour apporter la justice aux victimes ; des mécanismes pour une meilleure protection de ceux qui défendent les droits humains et font partie de mouvements d’opposition. L’Accord reconnait également la persistance du paramilitarisme et la menace que représente un tel phénomène, et la mise en place de moyens pour lutter contre cela et enquêter sur les crimes qui en découlent. Il y a ici une grande opportunité de renforcer la reconnaissance des Zones de Réserve Paysanne (Zonas de Reserva Campesina) et la création d’un fonds de terres pour les paysans qui actuellement n’y ont pas accès. L’Accord comprend également une politique intégrale en matière de lutte contre les drogues illicites, définissant des moyens alternatifs à la guerre, la répression et la fumigation. L’Accord inclue enfin de nombreuses garanties pour que l’opposition et les mouvements sociaux puissent participer à la vie politique.
Les thèmes abordés à la table des négociations sont les mêmes que ceux mentionnés dans le rapport de la Commission historique du conflit et de ses victimes comme étant des causes structurelles du conflit armé entre les FARC et le Gouvernement. La mise en œuvre de l’Accord est une garantie nécessaire pour une paix durable.
La célébration de la paix aujourd’hui marque la fin d’un processus, mais aussi un grand commencement. L’étape suivante est encore plus importante : ce qui a été négocié doit devenir réalité.
Premièrement l’Accord doit être approuvé: la société colombienne doit se prononcer en faveur ou non de l’Accord le 2 octobre prochain. Dans la campagne pour le «oui» à l’accord de Paix, les mouvements sociaux auront une nouvelle fois un rôle indispensable car les secteurs qui voient leurs intérêts menacés par l’Accord de la Havane s’opposent violemment à ce dernier.
Il est à prévoir que dans les prochains mois il y aura une mobilisation sociale massive qui pourra comporter des risques pour ceux qui y participent. Rappelons que lors de ces dernières années la violence politique en Colombie a augmenté, et que la majorité des agressions contre les défenseur-e-s sont perpétrées par des groupes paramilitaires.
Après l’approbation de l’Accord viendra la phase de mise en œuvre de ce dernier. La participation des victimes, des organisations, mouvements et communautés aux mécanismes de justice transitionnelle, comme la Commission de vérité, l’Unité spéciale de recherche de personnes disparues, et la Juridiction spéciale pour la paix, sera de grande envergure puisque les organisations ont documenté et enquêté, accompagné les familles dans la recherche de leurs proches disparus durant des années. Le Bureau du Haut commissaire pour les droits de l’Homme signale que «le harcèlement subi par les représentants des victimes du conflit est répété, particulièrement pour ceux qui portent devant la justice les cas de violations attribuées à des agents de l’Etat».
De nombreuses organisations internationales souligne le rôle fondamental que devra jouer la société civile colombienne dans la mise en place et le suivi de l’Accord. Cette vigilance est d’autant plus nécessaire selon les organisations sociales que le gouvernement actuel met en place des réformes allant à l’encontre des avancées en matière de droits humains signées à la Havane : le nouveau Code de police qui augmente la criminalisation de la contestation sociale, et la Loi Zidres, qui selon Oxfam, a « des effets négatifs en termes de concentration des terres et d’expropriation ». Malgré la fin du conflit armé avec les FARC, le gouvernement n’a pas souhaité engagé une réforme de l’Armée, pourtant jugée nécessaire par les mouvements sociaux car cela garantirait la non-répétition des crimes commis durant le conflit armé.
Une autre étape fondamentale pour la construction d’une paix durable est le processus de négociation avec l’Armée de Libération Nationale (Ejército de Liberación Nacional - ELN), annoncé en mars 2016 mais qui depuis demeure dans une impasse. Sans un accord avec cette guérilla, le conflit armé continuera dans de nombreuses zones du pays et la transition vers une culture de paix sera amoindrie.
Ce n’est pas le moment de cesser de soutenir et d’accompagner ceux qui défendent les droits humains et environnementaux qui subissent de nombreux risques en raison de leur travail, ou encore de cesser de porter son attention sur la Colombie puisque la paix est signée. En ce moment historique pour la Colombie, les organisations, groupes et communautés ont besoin – peut-être plus que jamais – de l’attention de la communauté internationale pour permettre que la paix puisse perdurer et être accompagnée d’une justice sociale pour tous.