La volontaire française Pauline Sfez a intégré en juillet 2015 l’équipe d’Urabá, au nord-ouest de la Colombie.
Comment se sont passés tes premiers mois sur le terrain ?
J’ai intégré l’équipe d’Urabá au mois d’août 2015. J’étais alors la seule nouvelle à entrer dans un groupe plutôt nouveau lui aussi, la plupart des volontaires étant arrivés au mois de février. La formation est toujours un moment assez intense, pour l’équipe qui doit trouver le temps au milieu de son travail quotidien pour préparer la formation et pour celui qui arrive, qui entrevoit petit à petit la quantité d’informations à enregistrer sur le fonctionnement de PBI, les processus accompagnés, le contexte, la particularité des zones dans laquelle on se trouve. Ce n’est pas facile dans un premier temps de s’y retrouver, tout vient au fur et à mesure avec l’expérience et il faut se résigner à ne pas en voir le bout! J’ai eu la chance de connaître depuis la formation à Valladolid tous les autres membres de l’équipe, donc malgré le fait d’être arrivée seule petite dernière, j’étais surtout contente de revoir tout le monde et le contact s’est assez vite établi. Ce que je recherchais à Urabá c’était surtout de pouvoir me centrer sur un nombre restreint de processus pour pouvoir mieux les connaître et à travers eux comprendre la région dans laquelle je me trouve. Je ne regrette pas mon choix, l’équipe d’Apartadó n’accompagne que trois organisations mais à travers eux plusieurs processus, et c’est une chance de pouvoir avec le temps établir une relation plus personnelle avec les accompagnés. Je suis du genre à tarder un peu à établir des relations de confiance avec les gens et ici je peux y arriver parce que je suis plus souvent en contact avec les mêmes accompagnés. Au début ce n’est pas facile, on veut poser beaucoup de questions sans oser ou en oubliant constamment les réponses qui se noient dans la quantité d’informations qu’on reçoit en arrivant, on rencontre beaucoup de gens dont on a du mal à fixer les visages et les noms. Mais dans tous les cas, les contacts ont été bons dès les débuts, PBI est présent depuis pratiquement ses débuts en Colombie auprès de ces organisations et on sent qu’une confiance assez grande, qui dépasse les brigadistes actuellement sur le terrain, s’est établie.
Quelles sont les conditions de travail ?
Depuis mon arrivée l’équipe est passée par des mois sans accompagnement, et d’autres où les urgences s’enchaînent. Tout est bien sûr très lié aux changements dans le contexte national, et régional. Mais c’est aussi ce qui fait le charme du travail, ça peut être très fatigant, mais on n’intègre généralement pas PBI parce qu’on aime être assis derrière un bureau 8h par jour. Dans tous les cas, le grand défi c’est de ne pas céder au stress ou à l’ennui, c’est plus facile dans certains lieux que dans d’autre. Disons qu’à Apartadó c’est un peu plus dur qu’ailleurs de trouver des moyens de couper avec le travail, la maison et PBI, mais chacun trouve la façon de le faire. Ici on a la chance d’être à 1h30 de la plage et d’avoir une maison agréable. PBI essaie de favoriser que la place et la voix de chacun soit respectée, toute décision doit être discutée au sein de l’équipe et entre les différentes équipes quand ça implique des changements au niveau du projet. Ca me paraît être une base de fonctionnement essentielle mais la contrepartie est que ça demande beaucoup de patience et d’implication dans des débats qui nous dépassent un peu par moment. Ce que je savais sans vraiment en mesurer l’ampleur avant d’arriver c’est la quantité de travail interne à PBI, la participation aux différents comités, à la prise de décision sur des sujets dont on est parfois pas bien au courant, la rédaction de documents, les pannes informatiques, toutes ces choses qui prennent parfois bien plus de temps que le travail d’accompagnement ou de plaidoyer politique. Ça peut être frustrant mais c’est aussi une forme de travail assez enrichissante.
Sur quelles thématiques travailles-tu ?
L’équipe d’Apartadó accompagne majoritairement deux processus : la communauté de paix de San José de Apartadó et la Comisión Intereclesial de Justicia y Paz dans ses activités auprès de différentes communautés de la région. Il s’agit dans les deux cas de victimes directes du conflit, déplacées à partir des années 1990 par les massacres commis par les militaires et les paramilitaires qui ont eu lieu dans la région. Le cas de la communauté de paix est intéressant puisque la communauté a décidé de rompre ses relations avec le gouvernement et a développé un projet de communauté indépendante du gouvernement à tous les niveaux. La communauté cherche à être auto-suffisante alimentairement et a développé un projet agricole basé sur la production de cacao biologique et sur le commerce équitable. La communauté de paix est un caillou dans la chaussure des différents acteurs qui veulent s’assurer le contrôle de la région, donc même si la Communauté a su s’organiser pour assurer sa protection, ses leaders restent menacés. Le cas des communautés qu’accompagne CIJP est celui de victimes de l’opération Génésis, de l’opération Septembre noir qui ont été contraintes de se déplacer á la suite de ces offensives militaires-paramilitaires. Certains habitants ont décidé de revenir sur leurs terres qu’ils ont trouvées occupées par des entrepreneurs, transformées en plantation de palmier à huile, en zones d’élevage extensif. Les communautés se sont organisées en différentes Zones Humanitaires pour assurer leur protection et le gouvernement colombien a reconnu dans certains cas que les entrepreneurs occupaient illégalement les territoires. Les thèmes sur lesquels je travaille depuis Urabá sont donc directement liés aux déplacements internes causés par le conflit. Les communautés que nous accompagnons ont élaboré des propositions très intéressantes en faveur de la paix. La question de la défense de la terre et des territoires, du mode de vie paysan est bien sûr au centre de leur lutte aussi.
Confrontée à la réalité du terrain, comment perçois-tu le processus de paix en cours ?
C’est assez paradoxal d’entendre tellement parler de paix au niveau national quand au niveau régional et pour une partie de la population la situation est tout autre. La progression des négociations à La Havane et l’annonce de la signature des accords de paix pour le mois de mars ont eu pour effet de compliquer les choses dans la région d’Urabá : la probable démobilisation des FARC modifie l’équilibre dans les territoires, les partages actés entre les différents groupes armés pour le contrôle des territoires. Urabá est une zone extrêmement stratégique pour tous les types de commerce et de trafics : elle connecte la côte Pacifique à la côte Atlantique, à quelques heures de la frontière avec le Panama. La démobilisation des FARC ouvrirait l’accès pour d’autres acteurs aux territoires que contrôle pour l’instant la guérilla. C’est plutôt à ça qu’on a assisté ces derniers mois : une progression des AGC, des combats avec la guérilla, un renforcement dans certaines zones de l’ELN. En même temps certains des grands chefs paramilitaires qui avaient bénéficié de peines encadrées de la loi de Justicia y Paz commencent à sortir de prison. Tous ces éléments font que loin de se sentir rassurées par la signature des accords de paix, les populations la redoutent. Il est clair pour beaucoup que la fin officielle du conflit servira aussi à attirer des investissements économiques, principalement pour l’exploitation minière et agricole. Sur le terrain on constate d’une part que les tensions liées directement au conflit n’ont pas été résolues (processus de restitution des terres, menaces contre les défenseurs etc.) et d’autre part que la fin du conflit impliquera sûrement de nouvelles luttes pour la défense de la terre et des territoires.