«Sans vérité, il ne peut pas y avoir de justice». Le 9 novembre, PBI France recevait l’avocat et défenseur des droits humains Daniel Prado. L’occasion de rencontrer le journal La Croix, qui en a fait son portrait :
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La Croix - Jean Christophe Ploquin - 05/12/18 - https://www.la-croix.com/Monde/Ameriques/Daniel-Prado-justice-paix-2018-12-05-1200987560?fbclidIwAR0N2IiHwBGluS0N4WHmn3oq0mGr5W3NDgV2DTW5kwyBu3jp5EC7QIMV77g
L’avocat colombien Daniel Prado est engagé dans une longue bataille judiciaire pour faire établir que le frère de l’ex-président Uribe était le chef d’une milice paramilitaire responsable de la mort de plus de 500 personnes.
En Colombie, il circule toujours accompagné par deux gardes du corps. Daniel Prado a besoin de toute la force de ses convictions pour aborder, la tête froide, un moment important de l’histoire judiciaire de son pays. Cet avocat défend les intérêts de la famille d’un conducteur de bus, Camilo Barrientos, victime des paramilitaires qui sévissaient dans les années 1980-1990 dans ce pays alors ravagé par le trafic de drogue et la confrontation avec différents mouvements de guérilla, notamment les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Or dans quelques jours, un tribunal dira si le responsable ultime de la mort du chauffeur est bien Santiago Uribe Vélez, l’un des frères de l’ancien président Alvaro Uribe, et s’il était le chef d’une milice paramilitaire, Los Doce Apostoles (Les douze apôtres), qui sévissait dans la province d’Antioquia, autour de la ville de Medellin.
Le témoignage d’un ancien commandant de police
Dans le cadre d’une tournée en Europe début novembre, entreprise pour sensibiliser l’opinion internationale à ce procès et pour échapper à des pressions extrêmes, Daniel Prado est passé par Paris, où il a notamment rencontré des diplomates du ministère des affaires étrangères. À la table d’un café, il explique comment, depuis une dizaine d’années, la marche de la justice a longtemps été entravée dans ses tentatives de faire juger Santiago Uribe Vélez. Ce n’est qu’après le témoignage d’un ancien commandant de police de la ville de Yarumal, près de Medellin, qui accusait fermement le frère de l’ancien président, qu’une instruction a été ouverte. Le procès a commencé fin 2017.
« Si Santiago est condamné, les conséquences politiques seront importantes,*commente l’avocat. *La crédibilité de son frère Alvaro, qui est toujours sénateur, sera très entamée. Cela montrera qu’il a été élu président de la République, en 2002, grâce aux milices paramilitaires. Les deux frères sont en effet très proches. Ils possèdent un ranch commun. Le verdict pourrait déclencher de nouvelles enquêtes judiciaires. Los Doce Apostoles ont fait au moins 509 victimes. En outre, Santiago et Alvaro Uribe sont soupçonnés d’avoir été liés à un autre groupe paramilitaire, El Bloque Metro. »
On comprend que dans certains cercles du pouvoir à Bogota, Daniel Prado soit considéré comme un homme à abattre. La Commission interaméricaine des droits de l’homme, qui dépend de l’Organisation des États américains (OEA), a fait pression sur le gouvernement colombien pour qu’il assure sa protection 24 heures sur 24. « Les yeux du monde restent tournés vers la Colombie, en soutien au processus de paix enclenché par l’ex-président Santos et les Farc*, se réconforte-t-il. *Dans mon pays, quand on juge de graves violations des droits de l’homme, c’est parce que les Occidentaux ont exercé des pressions. »*
Un collectif d’avocats proche des jésuites
L’avocat a quatre enfants âgés de 16 à 30 ans, qu’il a conscience de mettreen péril. *« Mais ils ont la vérité très à cœur. Ils ne se tairont pas devant l’injustice. Ils sont fiers du combat de leur père pour la dignité »*, assure-t-il sur un ton d’estime réciproque. Lui-même a grandi entre deux parents *« humbles mais militants »*. C’est là que s’est enracinée sa vocation de défenseur des droits de l’homme.
Daniel Prado fait partie d’un collectif d’avocats proche des jésuites et de la commission Justice et paix de l’Église catholique. Ils s’attachent notamment à la défense de victimes qui n’auraient ni les moyens ni la conscience nécessaires pour entreprendre une action en justice. Le système judiciaire en Colombie reste soumis à de fortes pressions politiques et le pays reste profondément divisé par la guerre civile qui a fait environ 200 000 morts en un demi-siècle de violences. Deux ans après les accords de paix, des régions rurales restent soumises à des règlements de compte et il y a peu d’avancées dans l’indemnisation des familles de victimes et des millions de personnes déplacées.
Une Juridiction spéciale pour la paix (JEP), créée par les accords de paix et composée de magistrats désignés par des instances nationales et internationales, a commencé à juger des crimes commis par les deux bords. Mais sa pertinence est contestée par les forces politiques qui soutiennent le nouveau président de la république Ivan Duque, élu en juin dernier.
Alors que les enquêtes judiciaires piétinent le plus souvent, Daniel Prado est en première ligne, conscient du délicat équilibre à trouver entre vérité et justice, pour panser les blessures laissées par le conflit et œuvrer à une réconciliation nationale. « Le plus important est la vérité, tranche-t-il. Pour les Colombiens, il est fondamental d’avoir connaissance des crimes commis par la guérilla et par les paramilitaires, dont on sait qu’ils étaient liés au pouvoir. » Au bout du processus, espère-t-il, sera atteint « le bien suprême : la paix ».
Son inspiration : la mémoire d’Eduardo Umana Mendoza
« Quand j’étais à l’université, j’avais notamment comme professeur Eduardo Umana Mendoza, une grande figure de la défense des droits de l’homme, assassiné le 18 avril 1998 dans son appartement de Bogota par un commando de trois personnes,* raconte Daniel Prado. «J’étais déjà très sensibilisé à la question des disparus et conscient que l’État était capable de grandes injustices et de faire souffrir de nombreuses personnes au bénéfice d’intérêts privés. Sa mort m’a renforcé dans mon choix d’être un avocat au service des droits de l’homme et de la dignité de tout être humain. »
Jean-Christophe Ploquin
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