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Cas Alvarado au Mexique: la militarisation de la sécurité publique est une menace pour les droits humains

Dans un contexte de débats intenses et de manifestations au Mexique au sujet de la création d’une Garde nationale pour assurer la sécurité publique, la Cour Interaméricaine des Droits Humains (CoIDH) a publié le 28 novembre 2018 sa décision dans le cas Alvarado, un cas emblématique de disparitions forcées causées par le contexte de militarisation. Les disparitions avaient eu lieu en 2009 dans l’État de Chihuahua, au Nord du Mexique. La tragique histoire du cas Alvarado résume à elle seule plusieurs des problématiques les plus aigües auxquelles fait face le pays actuellement : les disparitions forcées, les déplacements forcés, l’impunité et la militarisation.

 

Le cas Alvarado: la disparition de trois membres d’une même famille pendant l’Opération Conjointe Chihuahua

Les faits remontent à 2009. Ils se déroulent dans le cadre de ce que l’ancien président du Mexique, Felipe Calderón, avait nommé la « guerre contre le narcotrafic », qu’il a initiée en 2006. Cette « guerre », en réalité une stratégie de sécurité publique, favorise la participation des forces armées, c’est-à-dire de l’armée nationale, dans les activités de sécurité publique. C’est ainsi qu’a été mise en place, à partir du mois de mars 2008, l’Opération conjointe Chihuahua, un déploiement de 2 000 militaires et d’éléments de la police fédérale (équivalent de la police nationale en France) dans l’État de Chihuahua (Nord du Mexique). Loin de parvenir à éradiquer la violence, cette opération a été marquée par une augmentation du nombre d’homicides et de violations des droits humains dans la région. Le cas Alvarado l’illustre de façon tragique : en décembre 2009, trois membres d’une même famille, Nitza Paola Alvarado Espinoza, José Ángel Alvarado Herrera y Rocío Irene Alvarado Reyes, ont été arrêtés arbitrairement par des militaires – on ne les a plus jamais revus.

 

Huit ans de lutte pour la vérité et la justice

Depuis lors, les proches des cousins Alvarado ont lutté sans cesse pour savoir ce qu’il était advenu à leurs proches et exiger justice. La représentation juridique de ce cas a été prise en charge par le Centre des droits humains Paso del Norte (Centro de Derechos Humanos Paso del Norte) et le Centre des droits des femmes de Chihuahua (CEDEHM), ainsi que par les organisations COSYDDHAC (Comisión y Solidaridad y Defensa de los Derechos Humanos) y MEXENEX (Mexicanos en el Exilio). Ensemble, ils ont décidé d’aller jusqu’à la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, car l’État mexicain n’avait alors, en 2016, pas suivi les recommandations émises par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme.

 

#FueElEjercito : c’était l’armée

Dans sa décision du 28 novembre 2018, la Cour reconnaît la responsabilité de l’armée mexicaine dans la disparition des trois cousins, ainsi que la responsabilité de l’État mexicain pour manquement dans l’enquête. La Cour établit en particulier que l’État mexicain a permis que le cas soit orienté vers la juridiction militaire et non civile, ce qui est considéré comme grave compte tenu du fait que, selon la Cour, « le contexte avéré d’impunité en Mexique dans ce type de cas montre un manque de contrôle de ce type d’opérations auxquelles participe l’armée ». La Cour établit également l’existence d’un retard injustifié dans la réalisation de l’enquête. La Cour a édicté dans sa décision un certain nombre de mesures de réparation, entre autres la recherche de la vérité sur le sort des trois cousins, Nitza, Rocío y José Ángel Alvarado ; la sanction des responsables de leur disparition ; l’organisation d’un événement pour énoncer, publiquement et à niveau international, les responsabilités dans ce cas, et ce en présence de représentants de la SEDENA, l’armée mexicaine ; la réparation des dommages subis par les proches des victimes dans leurs projets de vie ; et la mise en place de conditions propices au retour des proches des victimes qui ont été forcés de se déplacer de leur lieu de vie, ainsi que l’indemnisation des dommages subis.

 

Menaces, harcèlement et violences

En effet, tant les proches des victimes que les avocats du cas Alvarado ont été victimes de harcèlement, de menaces et de violences – jusqu’à l’assassinat. Nombre d’entre eux ont dû quitter leur lieu de résidence et plusieurs ont demandé – et obtenu – l’asile politique aux États-Unis. À plusieurs reprises, la Cour interaméricaine a édicté des mesures de protection en faveur des trois cousins, de 34 proches des victimes et de l’un de leurs représentants juridiques. Malgré les risques, proches et avocats ont poursuivi leur travail jusqu’à la décision de justice finale de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme.

 

Une critique forte des stratégies de militarisation comme moyen de lutte contre la violence

La décision de la Cour sonne comme un avertissement alors que le Mexique met en place, sur décision du président Andrés Manuel López Obrador, une Garde nationale dont les membres seront l’armée et les corps de police. De nombreuses situations similaires à celle des cousins Alvarado ont été reportées dans le pays. La société civile mexicaine, les organisations internationales et les ONG internationales ont toutes lancé des avertissements sur les risques que représente la militarisation et donc l’inclusion de l’armée dans les stratégies de lutte contre le crime organisé sur le territoire national. A ce sujet, le Centre des droits humains Paso del Norte et plusieurs organisations de la société civile ont présenté en 2018 à la Cour pénale internationale (CPI) une communication sur la possible commission de crimes de lèse-humanité dans l’État de Chihuahua dans le cadre de l’Opération conjointe Chihuahua entre 2008-2010 – précisément l’époque à laquelle eut lieu la disparition forcée des cousins Alvarado.

 

Un appel à mettre fin à la violence et à garantir le droit à défendre les droits humains

La situation des disparitions forcées au Mexique reste extrêmement préoccupante : le gouvernement a reconnu, début février 2019 que 40 000 personnes avaient disparu dans le pays et a parlé de « crise humanitaire » au sujet des violations des droits humains. La quasi-totalité de ces cas reste impunie. PBI appelle les autorités à prendre toutes les mesures permettant de garantir le respect des droits humains et l’accès à la vérité et à la justice. PBI rappelle également que la défense des droits humains reste une activité à haut risque au Mexique, comme l’illustre la situation des proches et avocats du cas Alvarado, et appelle les autorités mexicaines à assumer leurs responsabilités pour garantir leur sécurité et protection, afin qu’elles et ils puissent réaliser leur travail légitime en toute sécurité.

 

PBI Mexique, article publié le 20 février 2019, disponible en anglais et en espagnol

Traduction : Florence Sonntag